Une montagne que l’on ne saurait gravir. Pour Monet, Wolfgang Laib © Sophy Crépy – musée de l’Orangerie
Wolfgang Laib a conçu Une montagne que l’on ne saurait gravir. Pour Monet comme une œuvre en soi réalisée in situ au musée de l’Orangerie, pour dialoguer avec l’oeuvre princeps de Claude Monet. Répondant à l’invitation de Claire Bernardi et Sophie Eloy, ce "contrepoint contemporain" des Nymphéas se compose de deux oeuvres. Un sentiment de grande plénitude et d’humilité face à la nature, telle est l’émotion que j’ai ressentie face à cette réponse à l’œuvre majeure du peintre de Giverny. Laib donne à voir l’élément naturel tel quel, mettant en lumière sa substance, sa matière, ses couleurs.
Depuis ses premières récoltes en 1977, l’artiste allemand n’a de cesse de récolter son matériau à la fois fragile et précieux, dans une prairie qui entoure sa maison. Par ces longs moments passés au contact des arbres et des végétaux, il a acquis la patience qu’il a cultivée durant la création de ses installations.
Dans la salle, située en amorce de celle qui accueille les Nymphéas, sa minuscule « montagne » de pollen créée sur place, avec une extrême délicatesse, résulte d’un geste d’une grande attention, qui lui demande d’être pleinement conscient du moment présent. La forme naît au fur et à mesure, cuillère après cuillère. Pour l’artiste, le pollen suggère la fertilité, et le début de la vie à l’origine de la création de la nature.
L’autre installation est constituée d’un ensemble de petits tas de riz au sol, régulièrement disposés, dont la blancheur transmet une certaine lumière. Ils sont associés à deux pierres de granit, recouvertes de vibhuti, cendre sacrée faite de bois séché brûlé, de bouse de vache brûlée et/ou de corps incinérés utilisée dans certains rituels. Ces pierres de formes pyramidales peuvent nous amener à songer aux montagnes. Grâce à leur temporalité et leur monumentalité elles suggèrent la mémoire des temps géologiques. L’œuvre nous invite à méditer sur la fugacité de la vie et sur la transmission de cet aliment qui circule à travers le monde. Chaque petit tas de riz incarne le partage, le commun, ce qui nous relie aux autres.
Laib a d’abord mené des études de médecine à Tübingen. Au cours de celles-ci, il a compris de manière évidente que son destin était d’être artiste. Sa démarche, empreinte de simplicité et de modestie, émane de sa rencontre avec le peintre-paysagiste Jakob Bräckle, ami de ses parents. Il s’est notamment nourri de l’œuvre de Joseph Beuys. Ses différents voyages dans les pays asiatiques, principalement en Inde et au Japon, ont forgé sa manière de vivre au quotidien et de se sentir faire partie d’un tout. Il affirme ne s’inscrire dans aucun courant et privilégier le fait de révéler la matière plutôt que d’entrer dans un processus de fabrication et de création. Il dit vouloir donner à voir la nature : « Ce n’est pas la même chose pour moi que pour un peintre, par exemple. Pour moi, il s’agit moins de la création de quelque chose que du fait de partager quelque chose qui est déjà là. Un peintre peint une peinture et c’est donc lui qui l’a faite. Or, je n’ai pas fait le pollen, je l’ai récolté. J’ai initié tout cela d’une certaine façon, mais ce qui se passe, ce que cela déclenche, c’est quelque chose qui se passe dans des processus beaucoup plus vastes. ».
Wolfgang Laib dit chercher l’équilibre entre l’éternité et la temporalité du monde. La question du temps irrigue sa démarche artistique. Le galeriste et écrivain Jean Frémon écrit : « C’est une sorte de credo, une gratitude envers le monde résumé à quelques-uns de ses éléments, formes, substances et couleurs. La plupart de ces substances empruntées contiennent une autre dimension : le temps »[1] Ses œuvres d’une grande pureté expriment une certaine fragilité et impliquent une attention toute particulière, une sorte de mise à distance pour apprécier pleinement la densité d’une matière naturelle. L’artiste, selon Frémon « dit que la pureté est fragile et éphémère et qu’elle doit être l’objet d’une attention constamment renouvelée. »[2]
Enfin, les gestes de Wolgang Laib pourraient être comparés à ceux du jardinier qui soigne la terre, la prépare, plante délicatement une graine et la recouvre de terre : des moments de reliance avec le vivant et d’interaction avec le monde extérieur.
Pauline Lisowski
Vu au
Musée de l’Orangerie
75001 - Paris
Wolfgang Laib
Contrepoint contemporain #12
06 mars – 08 juillet 2024
https://www.musee-orangerie.fr/fr