Space Media

Fred Forest
  • Fred-Forest-Space-Media-1972-Extrait-du-journal-Le-Monde-et-collage-50-x-335-cm-19.7-x-13.2-in.-Courtesy-Galerie-pact

Fred-Forest-Space Media-1972. Extrait-du-journal-Le-Monde-et-collage-50-x-335-cm-19.7-x-13.2-in, tirage 450.000 exemplaires.-Courtesy-Galerie-pact

 

Space Media est l'une des premières œuvres/actions de Fred Forest. La stratégie de Forest découlait du happening mais la forme utilisait les médias de masse ce qui lui a permis d'avoir un retentissement national. Le concept était de créer un espace vide, traduit pour le papier en espace blanc, ou pour la télévision en écran blanc..., et d'inviter les lecteurs à le remplir de la manière la plus libre possible puis à le lui renvoyer par l'intermédiaire du journal. Cette intervention réitérative a eu lieu à de multiples reprises dans la presse imprimée, radiophonique ou audiovisuelle,

 

Le premier Space Media fut « exposé » en une du supplément « Arts » du quotidien "Le Monde" du 12 janvier 1972. Il consistait en un espace rectangulaire blanc, placé en bas de page sur les trois colonnes de droite, qui portait le titre : Titre de l'œuvre : « 150 cm2 de papier journal ». Cette intervention fut suivie, dix jours plus tard, le 22 janvier, par une interruption d'antenne de 60 secondes dans le journal de midi d'Antenne 2, la deuxième chaîne nationale de la télévision française. Forest, dans les mois qui suivirent, effectuera une série d'interventions de nature semblable dans :

- La presse écrite : Tribune de Lausanne (Suisse), Jornal do Brasil, Jornal da Tarde, O Estado Sao-Paulo, Fohla de Sao Paulo, O Globo Rio de Janeiro, Jornal do Bahia, Diaro de Parana, Zero Hora Allegré, Ultima Hora (Brésil), Clarin (Argentine), Eksit (Belgique), Sydsvenska Dagbladet (Suède), Télérama, Ouest-France (France) ;

- Les radios : Europe 1, France-Culture, France-Inter (France), Radio Jovem Pam (Brésil), Radio Suisse Romande (Suisse) ;

- Les chaines de télévision : Bandeirantes Canal 13 (Brésil), Z.D.F. (Allemagne), R.A.I. (Italie), Radio Télévision Belge (Belgique).1

 

Au début des années 70, dans une époque de plus en plus dépendante des médias de masse, l'artiste réussit le tour de force d'inverser la tendance en se servant de l'impact médiatique au lieu de le subir. Il met ainsi en pratique la théorie de l'information, qui selon son plus célèbre théoricien McLuhan repose sur le principe qu' « un message est d'autant plus efficace qu'il n'est pas prévisible ». Le critique Pierre Restany2 qui a été un fidèle soutien de l'artiste expliquait : « L'esthétique de la communication correspond à ce passage d'un art de la représentation à un art de la présentation. L'activité esthétique de Fred Forest dans la communication consiste à assumer intégralement la logique opérationnelle de ses systèmes qui sont des dispositifs de présentation de la vérité. »

En effet, Fred Forest réussit à entrer dans la logique du medium, à le combiner, à s'approprier sa logique systémique à son profit. Alors que le mode de financement de l'information consiste à monnayer son impact en intégrant des « espaces » de publicité dans son contenu, Fred Forest ouvre une brêche symbolique forte dans cette logique économique qui n'a fait que s'amplifier depuis en parvenant à se faire inviter à y exposer ses œuvres conceptuelles.

Ses espaces vides, un adjectif que les médias exècrent, sont des actes de générosité, des espaces de gratuité, des appels d'air qui créent des signaux forts dans le flux dense et ininterrompu des médias. Mieux, Forest démontre que cet espace blanc peut se remplir aisément grâce à l'imagination d'un grand public qui s'empare de son projet artistique. Selon Michael Leruth, professeur au College of William and Mary, U.S.A., Forest «évite le piège de la dissolution du sens dans la communication de masse en évacuant tout contenu spécifique pour afficher la pure possibilité de l’existence d’un espace publique ouvert au dialogue, dans un geste utopique. »

Les 760 réponses reçues des lecteurs du "Monde", ainsi que celles des autres publics touchés, ont fait l'objet d'expositions au Grand Palais, au Centre Albertus Magnus, à l'Institut de l'Environnement, au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, à la Fondation De Appel à Amsterdam, et au Centre Pompidou. Certaines ont été des surprises d'intelligence, d'humour et de poésie, l'exposition au Centre Pompidou en affiche une sélection

Deux ans après le premier Space Média, Fred Forest créée le Collectif d'art sociologique avec Hervé Fischer et Jean-Paul Thénot. Dans leur Manifeste I, ils proclameront leur volonté critique, interrogative, de mettre « l’art en relation avec son contexte sociologique (...et d'attirer) l’attention sur les canaux de communication et de diffusion, thème nouveau dans l’histoire de l’art, et qui implique aussi une pratique nouvelle. »

 

Si les Space Media Fred Forest offrait un supplément d'art aux consommateurs des médias qu'il investissait, ils s'inscrivaient également dans l'optique conceptuelle de l'époque et, comme l'écrit Paul Ardenne, dans son désir « de sortir du formalisme, celui de l'oeuvre abstraite comme celui de l'objet de consommation recyclé en objet d'art »3 Ils étaient aussi une sorte d'actualisation du « Less is more » de Mies van der Rohe appliquée à l'univers de ce qu'on a appelé les arts-media ou l'esthétique de la communication. Le sens et la forme de ces nouveaux objets d'art s'échangent non pas dans les circuits artistiques traditionnels mais par les réseaux de communication de masse dont ils adoptent les principes de standardisation. Cette recherche sur l'espace de l'art prendra des formes plus concrètes et Fred Forest leur donnera un nom générique, celui de M² artistique.

 

Enfin les Space Media appartiennent au grand mouvement d'art participatif qui, de Dada au Net art, a fait du public un maillon indispensable à la construction de l'oeuvre. Implication, participation créative mais aussi prise de conscience de l'univers de la communication et de ses lois. A l'image proposée par McLuhan du poisson qui ne comprend qu'il était dans l'eau qu'au moment où on le retire de l'aquarium, les « spect-acteurs 4» de l'oeuvre de Fred Forest réaliseront mieux à quel point les médias ont une incidence incalculable sur leur psychisme, leur culture, leur organisation sociale et qu'ils peuvent en faire par eux-mêmes des matériaux artistiques.

 

Anne-Marie Morice

 

2 Texte écrit en 2000 publié dans le catalogue Fred Forest, homme-média n°1, CDA d'Enghien les Bains, 2013

3 Art, l'âge contemporain, une histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle, Editions du Regard, Paris, 1997

 

4 Mot forgé par le chercheur en Sciences de l’information et de la communication Jean-Louis Weissberg. Cf Les chemins du virtuel (direction), Cahiers du C.C.I., Centre Georges Pompidou, Flammarion, Paris, 1989 ; Téléprésence, naissance d’un nouveau milieu d’expérience, dans Nouvelles technologies, un art sans modèle, numéro spécial d’Art Press, 1991

 

 

Vu à

Exposition Fred Forest Rétrospective Centre Pompidou

du 12.06.17 au 28.08.17

Centre Pompidou

Paris

Catalogue publié par les Editions Première Partie, 2017

 

Sites de l'artiste

http://www.webnetmuseum.org

www.fredforest.org