RANDOM

Bernard Calet
  • Random, 2017©Bernard Calet
  • Random, 2017©Bernard Calet
  • Random, 2017©Bernard Calet

Installation d'installations, rideaux, pierres de la carrière Roy , bois, peinture mêlée de micro-billes, néons, composition sonore, projection vidéo, 2017

 

Bernard Calet est doté d’un imaginaire glaneur, qui agrège volontiers les références dans la littérature, la musique, l’architecture ou l’histoire de l’art, et qui procède par ricochets, glissements et soubresauts singuliers. Pas très étonnant que l’artiste choisisse un titre d’exposition à rebonds : RANDOM. Il paraît délicat de traduire précisément cet anglicisme qui signifie à la fois hasardeux, arbitraire, accidentel, imprévisible, et aléatoire. Bernard Calet embrasse tous ces termes, mais passe de surcroît par Georges Perec, dont le goût de la modernité l'a conduit à écrire une partition graphique1, intitulée Souvenir d'un voyage à Thouars, où le jeu homophonique aléatoire / aller à Thouars titille l’oreille. Autre réminiscence de voyage, l’exposition Winterreise (Voyage d’hiver), que Bernard Calet conçut en 2013, et qui entre fortement en résonance avec cette nouvelle proposition faite à la Chapelle Jeanne d’Arc : l’artiste y prolonge certains motifs de réflexion, tels le transport des images, les notions de passages, de décors et d’envers du décor, qui renvoient souvent à l’habitat. Sur ce point (l’expérience d’habiter), la commune de Thouars plus que la Chapelle elle-même a servi de contexte mental à l’exposition, comme si l’artiste avait pensé l’in situ à l’échelle urbaine. À la faveur des visions et des sensations sonores captées par Bernard Calet dans ce territoire, RANDOM recompose alors la forme (aléatoire) d’une ville.

RIDEAU

Pline l’Ancien a fait des rideaux peints le motif illustrant le plus parfaitement l’illusionnisme pictural. Vermeer et Rembrandt ont eux aussi usé de ce stratagème pour exprimer leur distance ironique à l’égard de la virtuosité réaliste. Quant à Magritte, il en a fait l’attribut récurrent de ses tableaux énigmatiques : « Le monde est fait de rideaux », écrit-il, désignant cet accessoire comme essentiel dans sa peinture scénographique. Parure, écran, seuil, frontière, objet médiatisant le désir, le rideau apparaît tel un signe indexant ce qui est à voir. À Thouars, un grand rideau blanc obture l’entrée de l’exposition : d’emblée, Bernard Calet pose la question du spectacle et de l’écran, de ce qui protège et de ce qui reçoit l’image. L’artiste fait dialoguer cette surface légère, fluide et ondulante avec son opposé : le coin inférieur droit de ce rideau est découpé et cette découpe encadre une grosse pierre, posée au sol, fragment de réel extrait de la carrière Roy, située à quelques kilomètres. Vue de l’extérieur de la Chapelle, la surface minérale apparaît brute, à l’intérieur par contre, elle est recouverte d’une peinture blanche, mêlée de micro-billes qui renvoient usuellement la lumière des phares : cette peinture est employée dans le marquage routier mais était aussi utilisée pour les écrans de cinéma, perlant sous la lumière. Entre support et surface, matérialité et symbole, pondération et envol, les deux objets cohabitent mystérieusement, au service d’une mise en scène de l’exposition où s’épousent les apparences du réel et de la fiction, au service également d’une tension spatiale entre l’intérieur (l’intime) et l’extérieur (le monde).

DEVANTURE

La traversée de certains centres-villes dévitalisés s’apparente à une expérience étrange, où la ville fantôme du présent reflète sa splendeur passée, où les stratégies d’occupation du vide deviennent si visibles qu’elles creusent l’absence encore davantage. En France, ce sont les villes moyennes qui sont les plus touchées. Les explications varient d'une ville à l'autre : Thouars déplore comme beaucoup une démographie déclinante et un enclavement ferroviaire, mais une explication plus globale met en évidence une relation certaine entre le niveau de vacance commerciale en centre-ville et le développement d'ensembles commerciaux périphériques.

De cet état des lieux, Bernard Calet tire une installation monumentale qui prend la forme d’un décor : une devanture, très similaire aux façades délaissées qui ponctuent la rue Saint-Médard, serpentant en contrebas de la Chapelle. Cette grande structure se dresse comme une ossature blanche, couverte elle aussi de peinture mêlée de micro-billes, renvoyant la lumière et virtualisant l’objet, jusqu’à lui conférer le statut d’une image, entre 2D et 3D.

En contrepoint et en tension, Bernard Calet suspend un rideau bleu incrustation à l’arrière de cette Devanture, surface autonome qui dialogue autour de cette architecture spectrale, et à travers une ouverture qui la perce. L'incrustation désigne cette technique d'effets spéciaux, utilisée dans le domaine du cinéma et de la photo, qui consiste à intégrer dans une même image des objets filmés séparément ou des objets 3D, dans un décor ou paysage où ils n’étaient pas. Deux espaces, le réel et le virtuel, et deux temporalités peuvent alors fusionner. Dans une incessante dialectique — entre vide et plein, architecture et peinture, distanciation et mimétisme — l’artiste invite le spectateur à venir projeter ses propres images sur cette abstraction urbaine qui tient autant de la réalité tangible que du mirage spatio-temporel.

PRÉSENCE

Entre la nef et le chœur, au fond de la Chapelle, un amas de cailloux prend place prosaïquement. Extraites de la carrière toute proche, ces pierres agissent comme les cautions d’une réalité indiscutable : sur ce tas, Bernard Calet dispose un message en néon, l’écriture du mot REPRÉSENTER, avec les deux syllabes de début et fin (RE / ER) disposées en enclave, comme des guillemets palindromes, pour dégager l’étymon central — PRÉSENT.

Entre l’immatérialité du message lumineux et la masse lourde de ce tas minéral, que nous dit l’artiste ? Le choix de cet amoncellement de cailloux évoque directement le contexte (la carrière voisine), et parle aussi du temps : la formation longue de la pierre de granit rouge, désormais concassée et disposée sans ordre ; et le présent de la désorganisation du monde que les médias nous renvoient aujourd’hui. La notion de représentation n'est pas simple, elle est chargée de chaos.

Elle brille ici comme une enseigne publicitaire, mirant une réalité incertaine.

LA LECTURE DES PIERRES

En empruntant l’escalier qui mène au sous-sol, le visiteur aperçoit en hauteur une vidéo déroutante : les premières images fixent un paysage minimal, aplat pictural qui partitionne l’espace en bleu et rose tendres. Soudain, surgit dans le cadre une pelleteuse dentelée, qui s’agite dans une chorégraphie maladroite et laisse couler de sa mâchoire une poudre de graviers ocres. Émanations de poussière et atmosphère à la Mad Max. Dans ce ballet de pierre excavée, saisi dans le quotidien de la carrière thouarsaise déjà évoquée, la notion de représentation taraude à nouveau. « S’il advient que l’artiste fixe un instant privilégié, il ne le fixe pas parce qu’il le reproduit mais parce qu’il le métamorphose. »2 Ici, la métamorphose induit une forme de spleen, l’activité machinique suggérant peut-être l’action du sablier, la fugacité du temps qui passe, le rideau minéral, la poussière qui rattrape toute vie, mais qui présage aussi d'une future germination.

LE BRUIT DU MONDE

En immersion dans la ville, Bernard Calet a étudié les rapports entre son et espace : s’inscrivant dans la droite lignée des enregistrements de terrain (en anglais, field recordings) qui génèrent des audio-paysages, l’artiste a capté la dimension sonore de l'architecture et de l'urbanisme de Thouars, la vie quotidienne de la cité dans ses bruits les plus ordinaires : en bref, une mémoire contemporaine et un espace. De cette matière sonore générique, il nappe l’exposition : trait d’union entre les deux étages, la présence sonore de la ville se perçoit en douceur dans toute la Chapelle, comme un nouvel insert de réel samplé qui vient nourrir l’exposition.

 

Eva Prouteau

 

1 - Exécutée par le GERM, et mis en musique par Ph. Drogoz, en 1972.

2 - A. Malraux, La Création artistique I, in Les Voix du silence.

 

Vu à

Exposition Random

Centre d'art La Chapelle Jeanne d'Arc

Thouars

24 juin – 29 octobre 2017

 

Sites de l'artiste

http://www.collectifr.fr/reseaux/bernard-calet

http://aaar.fr/itineraires/artiste/bernard-calet/

http://bernardcalet.tumblr.com