Installation interactive, écran, caméra, ordinateur, programme spécifique, 2015, 8 exemplaires + 1 EA.
Portrait on the fly est une installation interactive du duo franco-autrichien Laurent Mignonneau & Christa Sommerer. Composée d’un écran, d’une caméra et d’un ordinateur, l’installation réagit en temps réel à la présence des spectateurs : un essaim de mouches virtuelles compose et recompose le portrait de la personne qui se trouve devant l’écran. Suivant la tradition de la «Musca depicta1» dans la peinture classique européenne, Laurent Mignonneau & Christa Sommerer intègrent ainsi cet insecte aux milles facettes dans l’art contemporain. Certains portraits du XVe et XVIe siècles de l’Italie du Nord, de la Flandre et de l’Allemagne ont soulevé beaucoup d’interrogations sur la présence incongrue de cet insecte, comme dans la Vierge à l’enfant de Carlo Crivelli et celle de Giorgio Schiavone ou dans le Saint Jerôme de Francesco Benaglio.
Si elle est souvent symbole du mal et de la mort, certains critiques interprètent ce détail comme une forme de provocation. C’est le cas de la mouche en trompe-l’oeil peinte sur le cadre, juste au-dessus du nom de l’artiste dans Portrait d’un Chartreux du peintre primitif flamand Petrus Christus.
Figée dans cet instant, à la frontière entre le réel et la représentation, cette mouche est la preuve de l’habilité du peintre à s’amuser des sens du spectateur et de lui donner l’illusion de la vie.
L’installation Portrait on the Fly est basée aussi sur un trompe-l’oeil : l’essaim de mouches bourdonnant dans l’écran se révèle être l’image d’une seule mouche multipliée par 10.000. Les artistes nous mettent face à cette illusion entre réalité et représentation.
Dans le portrait de Petrus Christus, la mouche posée «hors cadre» indique également la bidimensionnalité de l’oeuvre. La perception de l’espace s’en trouve modifiée. De même, dans l’installation de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer, la présence du spectateur donne une profondeur nouvelle à l’image virtuelle de l’essaim de mouches ; attirées par la présence et les contrastes visuels de leur interlocuteur, les mouches forment alors rapidement la silhouette de celui-ci.
L’oeuvre de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer met en avant cette ambivalence, entre matérialisation et dématérialisation, construction et déconstruction, présence et absence. En flux constant, le portrait est sans cesse redéfini selon le positionnement des mouches et le mouvement des spectateurs. Cette dynamique subtile d’apparition/disparition nous ramène à une autre signification de la mouche dans l’histoire de l’art : comme memento mori, signe qui rappelle sans équivoque la fugacité et la temporalité de la vie.
Par cette réflexion autour de notre rapport au réel, au statuts du corps et à son image dans ce flux, autour de la culture du « Selfie », les artistes nous mettent en garde quant au processus contemporain de la dématérialisation du monde.
Valentina Peri
1 Pour une étude complète de cette tradition picturale : André CHASTEL, Musca Depicta, Milan, Franco Maria Ricci, 1984
Cf : Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes : "On raconte que Giotto, encore jeune et dans l’atelier de Cimabue, peignit un jour sur le nez d’une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître se remettant au travail tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main; il la crut vraie jusqu’au moment ou il comprit son illusion."
Vu à
Galerie Charlot,
47 rue Charlot, 75004, Paris
Du 15/06 au 28/07/2016
Site des artistes
http://www.galeriecharlot.com/fr/48/Laurent-Mignonneau-Christa-Sommerer