Palissades

Rémi Uchéda
  • palissades, 2008©Rémi Ucheda
  • palissades, 2008©Rémi Ucheda
  • palissades, 2008©Rémi Ucheda

Pneus de vélos coupés déroulés, agrafés au mur, contraints

 

Uchéda aime les matériaux. Cela peut paraître banal de dire qu'un artiste aime les matériaux, mais ce n'est pas à tout coup le cas. Un peintre dit-il qu'il aime le matériau peinture ? Un musicien dit-il qu'il aime le matériau papier pour ses partitions ? Non, ce sont des moyens, non des fins en soi. Avec Uchéda, le matériau, très souvent, vise d'autres fins que celles qui lui sont assignées. On dira, c'est propre au plasticien ou au sculpteur d'utiliser quelque matériau que ce soit pour la finalité qu'il a en tête. Certes. Mais ce n'est pas, encore, ce que vise Uchéda. Uchéda opère ce que j'appelle une vision métaphorique des matériaux. La métaphore, c'est, littéralement, le transport. Comme par hasard, Uchéda choisit souvent des matériaux ou des objets matérialisés qui servent à transporter et à déplacer ailleurs (pneumatique, porte-avions, cannes à pêche, la liste est non exhaustive). Matériaux et objets matérialisés à dé-contextualiser, voilà ce qui intéresse Uchéda. Il y a donc une filiation, mais aussi une mutation (métaphore et poïèse).

De fait, Uchéda semble avoir une prédilection pour certains matériaux. Prenons par exemple l'oeuvre intitulée « palissade ». Palissade est une installation faite de pneus de vélo découpés et installés d'une manière indiquée par le titre. Des bandes de pneumatiques sont dressées côte à côte contre les murs et forment effectivement comme une palissade. On peut faire une palissade avec ce que l'on veut, mais une palissade faite de bandes de caoutchouc dressées ne vas pas rester droite bien longtemps, elle va flancher, se courber ; ce ne sera plus une palissade. On peut supposer même qu'il est impossible de dresser une bande de caoutchouc dans un temps donné. D'où l'appui, l'aplomb, le mur qui supporte les bandes et permet leur érection. Premier constat : les palissades ne sont pas des palissades. C'est autre chose, puisqu'une palissade contre un mur, c'est quasiment un gag. Examinons d'un peu plus près le matériau utilisé pour « palissade ».

L'aspect contrevient à l'usage. Généralement, un pneumatique, c'est quelque chose qui est refermé sur lui-même, car c'est un contenant. Ici, le pneumatique est ouvert, éviscéré ; libéré de la présence de l'air et surtout du poids qu'il a vocation de supporter. Uchéda vise l'allègement, l'élévation. De la même manière que le pneumatique est généralement finalisé en un cercle, ici il est dressé, comme une stèle, une statue, un totem ; palissade de totems colorés. Reprenons. Uchéda découpe des pneus de vélo, qu'il dresse ; auxquels il essaie de donner une stature ; je dis bien « essaie », car nous avons déjà noté qu'il s'agit, en quelque sorte, d'une stature aidée. Qu'apparaît-il, le long des ses bandes érigées ? Des sculptures, car le caoutchouc est déjà sculpté. D'ailleurs, littéralement, dans le métier, on parle de sculptures de pneus. Il y a plusieurs types de sculpture selon les marques et les modèles. Donc Uchéda opère quasiment une redondance pléonastique, mais supérieure, puisque purement esthétique : il expose des objets sculptés qui comportent déjà des sculptures ; sauf que le contexte n'est plus du tout le même. On reconnaît bien là le côté poïétique d'Uchéda, qui conduit à produire des œuvres décontextualisées au point qu'elles en deviennent à la fois métaphoriques et mémorielles : elles sont métaphoriques et nous savons d'où elles viennent, (mémoire des matériaux). La poïétique uchédienne consiste ici à re-produire de nouvelles actualisations à partir d'un objet utilitaire, bien souvent.

La palissade est faite de pneus (comprenant des sculptures usinées) découpés et placés à la verticale. L'objet disposé devient, de fait, une sculpture, sauf que le pneumatique contenait déjà des sculptures. Et c'est ici qu'intervient le travail proprement poïétique d'Uchéda. A-t-il acheté ces bandes de pneumatiques avant qu'elles ne soient thermoformées dans leur position finale ; les a-t-il mises à plat lui-même ? Il m'a dit qu' « en coupant les pneus, et en les déployant, le pneu a eu une réaction ; il s'est gondolé, et ondulé. J'ai eu une intention, et la matière a réagi, m'a dit “non non, moi je suis moulée en rond, basta je reste en rond”. Je voulais l'aplatir, et hop ! elle gondole. » Uchéda ici, fait état d'une notion que j'ai commencé de développer ailleurs, qui est la négociation. L'artiste doit négocier avec le matériau, il n'a pas le choix ; le matériau ne cède pas à ses injonctions, à ce que, très justement, il appelle son « intention ». Or le matériau, en quelque sorte, est aussi porteur d'une intention, celle d'avoir été fabriquée et moulée en cercle. Et c'est contre cette intention, cette mémoire du matériau, qu'Uchéda a lutté, à tel point qu'il a dû clouer les pneumatiques sur les panneaux de bois.

Impression d'ensemble : Vu de loin, des gratte-ciels (gratte-cieux ?) illuminés des lumières extérieures et intérieures, dont chaque ligne entre les sculptures constituerait un étage, par exemple. Vu de profil (profil de pneu…), des ondulations, des poches comme en produirait une peinture sur une toile qui aurait trop bu. Ou bien des serpents tropicaux sur des galets. Ou bien des vagues de couleurs ; car après tout, la lumière est une onde électromagnétique sinusoïdale, une sculpture naturelle. 

 

Léon Mychkine

 

Vu à

Des constructeurs éclectiques". Curatrices Lise Guéhenneux, Noëlle Tissier au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète, 2008