Megaton For William S. Burroughs. Pièce sonore jouée en performance, 18 hauts-parleurs, casques d'aviateurs, jouets. Photos : Portrait de Gordon Mumma, Jaquette de l'album publié par New World Records / CRi
En 1964, le compositeur Gordon Mumma crée la pièce de 22 minutes 35 secondes Megaton For William S. Burroughs. Cette pièce se présentait comme une sculpture sonore électro-acoustique, actionnée par cinq participants au centre du dispositif de diffusion, pour bandes magnétiques et un percussionniste.
Imaginée non plus simplement comme une œuvre musicale, mais comme une pièce de théâtre électronique, cette pièce sera créée pour le ONCE group1, et performée le 28 février 1964, à Ann Arbor, dans le Michigan. Son titre est une évocation de batailles passées au cours desquelles on a mesuré la puissance sonore des explosions. C'est également un hommage à William S. Burroughs, avec The Exterminator édité en 1960 qui célèbre et condamne à la fois la guerre, dans le climat politique tendu de l'ère nucléaire. Ecrit en collaboration avec Brion Gysin, il ne doit pas être confondu avec Exterminator! de 1973.
Mumma définit lui même ses dispositifs électroniques de “cybersonic”, en référence à la cybernétique alors en plein développement. Il deviendra l'un des compositeurs attitrés de Merce Cunningham.
Cette sculpture sonore fut jouée par Robert Ashley, Harold Borkin, Milton Cohen, Georges Manupelli, et Joseph Wehrer, l'ensemble étant coordonné par Mumma. Dans une étude de 1964, le compositeur André Boucourechliev a comparé cette oeuvre au “célèbre silence” de John Cage et aux “toiles blanches de Robert Rauschenberg”.
Megaton est composé de dix haut-parleurs entourant le public. Les musicien-acteurs communiquaient silencieusement les uns avec les autres au moyen de casques d'aviateurs. Une interaction était créée avec la lumière et le son, et des jouets activés par le public sonnaient la fin. Cette création méconnue s'inscrit dans le théâtre d'artiste où l'abstraction a toute sa place dans la mise en espace. Après la légèreté d'un drone dont le volume sonore gagne en intensité, les sons d'un escadron d'avions approchent. Tout à coup, leur succède la bande son d'un film évoquant l'équipage d'un bombardier de la seconde guerre mondiale, au cours d'un raid nocturne.
En 1966, juste quelques années après, William S. Burroughs, logiquement, participe à la revue Astronauts of Inner-Space: An International Collection of Avant-Garde Activity2. La contribution de Marshal Mc Luhan dans cette même revue, Culture et Technologie, affirme par exemple que “… si la politique est l'art du possible, son champ d'application doit maintenant, à l'ère électrique, être la mise en forme et la programmation d'environnements sensoriels comme une œuvre d'art éclairante.” Aussi, il n'est pas surprenant d'y retrouver également le fondateur de DADA, Raoul Hausmann, face à la poésie informatique des pionniers Max Bense et Margaret Masterman dans une hétérogénéité poétique qui passe par 17 manifestes, des articles, des lettres et 28 poèmes ainsi qu'un scénario de film.
Franck Ancel3