La Vallée

Pierre de Vallombreuse
  • La Vallée, 2016 © Pierre de Vallombreuse
  • La Vallée, 1994 © Pierre de Vallombreuse
  • La Vallée, 2016 © Pierre de Vallombreuse

Pierre de Vallombreuse, La Vallée, 1988-2016. Prises de vues réalisées respectivement en 2016, 1994 et 2016

 

Pour sa deuxième édition le prix Viviane Esders récompense le photographe Pierre de Vallombreuse. Ce prix est dédié à un.e photographe de plus de 60 ans, et doté de 60.000 euros, dont 10.000 sont consacrés à un ouvrage. Le corpus impressionnant de Pierre de Vallombreuse témoigne d'une recherche profonde qui fait réfléchir sur le sens de la vie, de ce qui fait société. Pierre de Vallombreuse apporte un témoignage rare à la thématique des  relations physiques et spirituelles qu'entretiennent les humains du XXe et XXIe siècle avec leur environnement.

Le parcours de Pierre de Vallombreuse a commencé par un désir de raconter et de voyager. La photographie a représenté pour lui le meilleur outil pour garder les traces de son existence et de son regard. Le déplacement fait partie de sa méthode, il se veut « témoin nomade ». Il a réalisé ainsi un énorme travail mémoriel dont il présente les données singulières.  

Pierre de Vallombreuse est un photographe des peuples autochtones qui vivent dans un écosystème distinct, sur des terres liées à leur identité, leur esprit, leur culture. Des populations avec lesquelles nous co-existons sur la planète Terre, mais qui sont invisibilisées et qui doivent lutter pour que leurs droits soient reconnus par les puissances étatiques dominantes. Il lui a fallu des années pour approcher ces peuples, se faire admettre, et pouvoir photographier, au fil du temps, nombre d'entre eux dans leur rapport au pays qu'ils habitent. 

Les populations autochtones ont un mode de vie souvent archaïque et plus proches de la conservation des ressources naturelles que les nations puissantes du monde actuel. Il y a 40 ans, le photographe découvre la beauté de paysages non altérés par les idéaux du progès technique où l'histoire s'écoule au rythme du vivant, - avec ses moments de paix mais aussi ses drames. Il s’enthousiasme sur la possibilité de vivre des aventures hors du commun et sa chance de transmettre ces expériences par la photographie. Ses somptueuses séries photographiques rendent compte de la beauté de certains de ces mondes qui existent de moins en moins. Il documente aussi les situations dramatiques : guerres, déforestations, politiques d'intégrations catastrophiques. Car peu à peu les populations qu'il côtoie doivent s’adapter face à la civilisation issue de la modernité. Pierre de Vallombreuse ne se dit pas ethnologue, il se veut "chroniqueur" bien qu’il ait été secrétaire de l’association Anthropologie et photographie créée par Edgar Morin et Jean Mallaurie. 

Le peuple Tau't Batu, dans l'île Palawan aux Philippines, sera celui qu’il a le plus étudié. Il y a fait 23 voyages, ce qui représente 4 années de sa vie passées sur place, de 1988 à 2016. L'emploi du noir et blanc photographique lui a permis d’égaliser les différents stades temporels de son étude. Il a créé ainsi un récit éblouissant, associant le quotidien des enfants, des femmes et des hommes avec les éléments du relief, les arbres centenaires, les roches et les falaises, l’ombre et la lumière.  Il découvre avec les Tau't Batu, de l'ethnie Palawan, une organisation sociale «anarchiste, pacifiste, non violente, très drôle». Des corps en liberté. Un écosystème raisonné et soutenable. Un monde qui ne repose pas sur une volonté prédatrice et lutte pour garder ses traditions ancestrales.

Vivant dans la majestueuse vallée de Singnapan, au Sud de l’île, les Tau't Batu élisent domicile soit dans des maisons sur pilotis dans la vallée, -ils font preuve d'une agilité prodigieuse-, soit dans des cavernes pendant la saison des pluies, ou en cas de conflits. Ces cavernes sont si profondes qu’ils peuvent y vivre pendant de très long moments. Vallombreuse découvre une façon, quasi féérique, multi-sensorielle, d’habiter la Terre. Ses photographies documentent le vol, à 200 mètres de hauteur, d'un jeune se balançant dans les airs au bout d'une liane ; l'ample enjambée d'un père qui rapporte dans la caverne familiale une hotte remplie de bananes et d’ananas cueillis dans les jardins potagers de la vallée où sont produites de nombreuses variétés de fruits et de légume; l'attitude calme, douce, intime d'une famille qui s'apprête à retourner vivre dans la vallée en emportant ses poules ou coqs de toute beauté. 

Mais en 40 ans il passe de l’enthousiasme d'un rêve éveillé, d’un temps où il pouvait s'imaginer être à l’aube de l’humanité, à un regard lucide sur le contexte contemporain. Il constate la transformation de l’écosystème de ces populations dont, dit Edgar Morin, « la civilisation est victime de notre civilisation". Il n'évoque pas la notion d'anthropocène mais on aurait envie d'en discuter plus avant avec lui. Missionnaires, entreprises productrices de palmier à huile, exploitations minières, touristes, terroristes religieux, se sont arrêtés jusque là en deça de la vallée philippine. Mais le risque existe de faire basculer à tout moment l’équilibre fragile qui permet encore aux Tau't Batu de garder un pied dans le temps long tout en étant maintenant chaussés de baskets et connectés à l'internet.

 

Anne-Marie Morice

 

Voir l'entretien de Pierre de Vallombreuse avec Vincent Marcilhacy réalisé au moment de la remise du prix

Visible également sur Transverse TV

 

 

Voir l'annonce du Prix par sa fondatrice Viviane Esders

 

 

Vu à 

Prix Viviane Esders

Edition 2023

https://prixvivianeesders.com/

 

Pierre de Vallombreuse

La Vallée

Catalogue de l'exposition photographique sur le peuple Palawan, au Musée national des Philippines, 2017.

http://www.pierredevallombreuse.com/