La série des Graffiti de Brassaï, compte plus de cinq cents photographies réalisées entre 1933 et 1958. Elle verse une iconographie rigoureuse à la réflexion sur la fonction anthropologique d'interaction de l'objet culturel. Fonction qui met en relation de façon métaphorique l'homme avec son environnement et avec ses semblables. Pour le photographe « dans notre civilisation (le mur) remplace la nature »1. Lors de ses prises de vues nocturnes, faites à la chambre photographique équipée de plaques de verre, il aime cadrer dans cette nature urbaine pour en décontextualiser des fragments de réalité, et pratiquer un « dépaysement » à la manière des Surréalistes avec lesquels il collabora pour la revue Le Minotaure.
Grâce à Brassaï les inscriptions et strates plus ou moins éphémères laissées sur les murs ont retenu notre attention en tant que geste à la fois créateur et destructeur. Nous ne négligeons plus ces formes, mi-accidentelles mi-conscientes, qui se gravent et s'incrustent dans les murs rongés par le temps, comme ces visages qui se développent autour de trous et accidents de façades et qui deviennent oeils ou bouches, ou ces formes creusées dans les couches de plâtre auxquelles la lumière confère un effet sculptural.
Brassaï a réfléchi tout au long de sa vie à une taxinomie et a partagé sa passion avec de nombreux artistes dont Dubuffet, Picasso, Prévert. Il témoigne que les sujets muraux les plus présents évoquent l'amour et la mort et rapproche ces pratiques des rituels publics, devenus clandestins dans nos sociétés développées, et qui trouvent une voie pour s'exprimer dans des replis secrets de la ville. Brassaï capte aussi les graffiti politiques qui, pendant la guerre d'Algérie, font de la rue une agora pour afficher les différents états de la conscience politique des urbains et, bien avant mai 68, il constate que « les murs prennent la parole » et souvent les font dialoguer de façon plus ou moins paisible.
Brassaï se livre également à une enquête sur les graffiti historiques. « Tout est une question d'optique », écrit-il. « Des analogies vivantes établissent des rapprochements vertigineux à travers les âges par simple élimination du facteur temps. (…) c'est la compréhension de l'enfance qui apporte aux éclats de silex, l'éclat de la vie (…) Des signes semblables à ceux des grottes de la Dordogne, de la Vallée du Nil ou de l'Euphrate surgissent sur les murs. La même angoisse qui a labouré d'un monde chaotique de gravures les parois des cavernes, trace aujourd'hui des dessins autour du mot « Défense » le premier que l'enfant déchiffre sur les murs. »2
Présentée pour la première fois par Edward Steichen au Museum of Modern Art à New York en 19563, la riche collecte de Brassaï a transformé le regard sur la pratique populaire du graffiti. Souvent associée au vandalisme, elle est depuis reconnue en tant que forme qui trouve ses racines dans l'histoire de l'art passée et à venir, du pariétal au street art. L'exposition présentée par le Centre Pompidou, à partir de ses collections, sous le commissariat de Karolina Ziebinska-Lewandowska et le catalogue qui en résulte replacent cette série culte dans son contexte et réactualise la façon dont elle peut être comprise.
Vu à
Centre Pompidou
Brassaï Graffiti
9 NOVEMBRE 2016 - 30 JANVIER 2017
GALERIE DE PHOTOGRAPHIES, FORUM-1
1Cité dans le catalogue Graffiti Brassaï Le langage du mur, sous la direction de Karolina Ziebinska-Lewandowska, Coédition Centre Pompidou / Editions Xavier Barral.
2« Du mur des cavernes au mur d'usine », Brassaï, Minotaure, n° 3-4, 1933
3Language of the Wall, Parisian graffiti photographed by Brassaï, MoMA, New York, octobre 1956