Polymère et pigments, 50x50x30 cm, 2015
Les sculptures de Samuel Aligand tiennent toutes seules, sans besoin d’un support, si elles ne trouvent pas leur assise elles peuvent aussi s’accrocher au mur mais elles ne sont pas des objets à poser sur une commode pour embellir unedemeure. Etranges formes que ces Fonds perdus qui ne ressemblent à rien de construit. Déchets ou embryons de matières, concrétions en voie de consolidation ou de dégradation, représentations de glitchs en trois dimensions ? Leurs surfaces nacrées aux dégradés de couleurs irisées jouxtent des parties râpeuses, tachetées par des grains de concentré de peinture. Selon leur niveau de figuration, ces micro-univers abstraits peuvent représenter bien des choses existant dans le monde connu : des fonds sous marins poreux, des tissus muqueux, des rebuts...
Ces textures mi-lisses, mi-rugueuses on en connaît pourtant la sensation tactile en y posant seulement les yeux. On devine le matériau mais on peine à lui donner un nom. Aligand s’en explique avec simplicité et poésie. Sa démarche initiale peut se rattacher aux principes du mouvement Anti-form pour lequel la forme dérive du matériau mais il ne montre pas le process de travail. Son atelier d’artiste ressemble à la paillasse d’un chercheur en chimie. La base est une matière qu’on utilise pour le moulage, un polymère qu’il plonge dans une casserole remplie d’eau, etqui provoque desmini-explosionsrépliques en infiniment petitde celle qui eut lieu dans le désert du Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945. Puis il charge la masse en pigments, les couleurs petit à petit se mélangent. Continuant ses manipulations, Aligand passe son objet de multiples fois dans l’eau, jusqu’à l’ébullition et la congélation. Cette suite de manipulations fait passer la matière d’agglomérations en éruptions, la soumettant à des variations qui concourent à ses transformations : création d’érosions, jeux de pesanteur, de chaud froid, de craquelure. Il s’agit aussi de trouver le bon moment pour transformer le plan en volume puis de figer la chose. Fixation qui n’est que provisoire, la transformation n’eétantjamais définitive, puisqueles oeuvres continuent à « travailler » dans le temps réservant des surprises à leur « géniteur ».
Ici le formalisme s’auto-construit en connivence avec le matériau et sa nature. Une forte dose de hasard dirige la mise en œuvre et réserve des surprises car il n’est pas possible de contrôler la façon dont le matériau se fige ni de déterminer le moment. Aligand part sans référent et place l’observation non pas avant la mise en œuvre mais pendant et après. Il passe de l’intention à la substance qui se dégage de ces expériences et qui peut conduire vers des formes sérielles. Il ne crée pas de mythologie mais se laisse conduire par des « pistes de lecture ».
Ainsi ces Fonds perdus sont polysémiques dès l’origine. Au sens littéral, le titre évoque les marges de sécurité, les débords d’images qui ne sont pas utilisées dans les mises en page et qu’on ne verra jamais. On pense également aux fonds de sauce qui tapissent la casserole du cuisinier, aux fonds marins, aussi bien qu’à un fond, un sens, forcément perdu.
La série des Fonds perdus se présente comme une oeuvre transformative, organique, mais aussi ordonnée et régie par des lois. Ces sculptures artificielles sont néanmoins situées dans le domaine de la nature si on prend en compte leur mise en relief de l’infiniment petit, du moment moléculaire.
Anne-Marie Morice
Vu à
Sous les pavés les arbres
Aubervilliers
Parcours artistique
Les 6, 7 et 8 juillet 2018
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