Fleurs de Peau

Myriam Mihindou
  • © Myriam Mihindou, Fleurs de peau, 2024
  • © Myriam Mihindou, Fleurs de peau, 2024
  • © Myriam Mihindou, Fleurs de peau, 2024

Savon sculpté, Fleurs de peau, 2024 © Myriam Mihindou, 

Au Palais de Tokyo, l’ensemble des « fleurs de peau » de Myriam Mihindou était présenté dans la section consacrée au soin. De loin, ses sculptures de savon apparaissaient sous une forme de constellation, telles des trouvailles transformées par les changements propres au cycle naturel. Certaines à hauteur de regard inspiraient à être prises dans les mains et incitaient à la rencontre avec une matière. Ces formes organiques suscitent la curiosité. Certaines rappellent les galets polis par l’eau de la mer. D’autres ont des aspects semblables à des chimères. Suspendues au mur, elles pouvaient faire penser à des pendentifs contenant une sorte de pouvoir protecteur, à des amulettes, à des concrétions témoignant de périodes géologiques anciennes.

Cette œuvre a débuté en 1996 lors de l’installation de l’artiste à la Réunion. Elle y avait monté des ateliers d’art thérapie pour tout âge, une pratique qui était pour elle l’occasion de développer une autre approche du soin, de manière joyeuse. Myriam Mihindou me confie « j’ai une histoire particulière avec le savon. Enfant, j’ai eu constamment besoin de me laver. De plus, lorsque les gens m’invitaient, je regardais leur savon et j’ai commencé à leur demander s’ils pouvaient me confier leur « langue de savon ». J’ai alors démarré une collection de ces fragments. Je m’intéresse aux petits riens et aux petites choses et fut marquée par le texte « Le savon » de Francis Ponge. Petit à petit, j’ai sculpté ces matières usagées. » Pour l’artiste, le savon lui permettait d’entrer en relation avec les femmes qui passaient dans son atelier. Elle leur donnait deux Fleurs de peau, dont une avec laquelle elle pouvait passer du temps avant de la confier à l’artiste. Ces œuvres étaient très intimes, considérées pour elle comme une « collection de relations à partir de laquelle faire communauté ». Au départ de son processus de sculpture, elle opérait un rituel, celui d’une prise de vue de ces pièces, tel un acte de soin. « Je souhaitais réparer le corps, la mémoire, l’enfance, le récit. » me confit-elle.

Une deuxième étape du travail de ces Fleurs de peau a consisté à la création de greffes de « langues de savon » de sa collection avec de la cire et des aiguilles, un processus qui relevait d’une forme de soin. « Il fallait que la cire fasse corps avec les savons » précise l’artiste, qui les pensait comme des ex-votos, qu’elle qualifiait de « psaumes de douceurs ». Pour chaque Fleur de peau, elle fabriquait un lien avec une corde de chanvre, qui au départ servait à sécher les savons.

La troisième étape de ce projet fut la réalisation d’une série travaillée à partir de la technique du raku, lui rappelant l’image de la lave de volcan. « Il fallait que je lave toutes ces histoires de femmes » explique Myriam Mihindou. « Ce sont des pièces sauvegardées. Je souhaitais protéger le projet que je donne à voir » ajoute-t-elle. Pour elle, chaque moment de création l’amène à prendre en compte chaque qualité des matériaux. Ses sculptures gardent en elles une mémoire des formes. Elles constituent, pour l’artiste, des interfaces, des doubles peaux à partir desquelles se relier à la terre, au cycle des saisons, inscrits dans le corps.

Pour cette installation, Myrim Mihindou a demandé aux femmes du Palais de Tokyo de choisir un savon et de le poser là où elle souhaitait. Pour elle il s’agissait d’un dispositif d’éducation. « Les femmes viennent ajouter la sacralité à l’œuvre. Je pose un acte dans leur corps et leur dit prends soin de toi, soit bienveillante avec ton corps. » explique l’artiste pour qui chaque exposition constitue un laboratoire d’expérience.

Cette œuvre incarne un temps passé avec une matière, à expérimenter sa douceur, son odeur et à la considérer comme précieuse. Elle accompagne l’artiste dans son quotidien à l’atelier et fut constitutive de sa démarche consistant à tisser des relations au long terme avec des personnes de tout âge et de tout horizon. En effet, l’artiste fait œuvre de manière collective et son processus de travail relève d’une forme de soin.

Pauline Lisowski

Vue au

Palais de Tokyo

Exposition Praesentia Myriam Mihindou

du 17/10/2024 au 05/01/2025

https://palaisdetokyo.com/exposition/praesentia/