Une étude, un plan, une image sont réunis sur une même surface artistique et se combinent en une photographie et un dessin. La photographie représente en vue frontale, face à des hauts sommets, une table d’orientation posée sur une herbe jaunie par le soleil. Ce premier plan nous donne des repères par rapport au paysage qui se déploie devant nous. Cette table est elle-même un espace de représentation qui a pour fonction de symboliser graphiquement l’espace. Le petit caillou qui marque le centre de la table nous replace dans notre position d’observateur.
Cette composition est la première d’une série qui marque une nouvelle direction prise par l’artiste. Cette première fois résulta de contraintes dues à la situation, - une résidence de plusieurs mois dans les Alpes-, qui obligea Constance Nouvel à rompre avec sa méthodologie habituelle à base de lumière, de chimie et d’instants photographiques. Faute d’avoir à sa disposition un laboratoire pour produire ses tirages, elle s’engage alors dans un processus de création dont elle ne soupçonne pas les issues et qui peu à peu va orienter sa recherche au sein même de l’oeuvre.
Par une démarche analogique, l’artiste a trouve un dispositif qui lui permet d’opérer une conjonction élargie entre sa perception, les formes et son acte de mise en forme. L’horizon du paysage est encadré, prolongé et propulsé dans une autre dimension. Car si l’image bi-dimensionnelle est une transformation du réel que nous percevons, on pourrait dire que la photographie en est son aplatissement, et que le dessin lui restitue son volume et sa présence au monde. Pour figurer cet état non figé des choses, Constance Nouvel étire le dessin hors du cadre photographique par des traits, des recouvrements, des rehauts, des fondus. Si bien que les lignes se recoupent avec les masses dans une dynamique qui cumule réalisme et abstraction. L’oeil glisse aussi vers le bas grâce à un effet de perpendicularité entre deux ombres portées appartenant à deux réalités différentes : celle dessinée par la lumière dans l’image photographique, celle étendue au crayon, sur le dessin.
Les photographies de paysage de Constance Nouvel se retrouvent dès lors mises en perspective dans un nouvel espace, élargi. Pour elle, si la photographie est empreinte de réel elle porte aussi les marqueurs de qui la réalise. Son nouveau process repousse les limites des images, se prolonge dans leur périphérie, se diffuse dans leurs lisières et convoque un cheminement déductif et discursif. «J’ai réalisé cette pièce comme un plan avec des micro reliefs dans la facture et en développant des étendues, des champs de perspectives et de profondeurs imaginaires, comme si un horizon se dégageait hors de l’image en négatif. Le ciel, noir, donne l’impression de premier et second plan qui rend active la composition. Par la même occasion, l’image n’est plus un sujet ou un espace de projection mais elle devient un objet d’exposition.», précise-t-elle.
Cette oeuvre polysémique de Constance Nouvel met en formes des recherches visuelles qui soulèvent de multiples interrogations sur la représentation, la photographie, la topologie, l’objet et le plan... L’image est devenue matière mentale qui nous entraîne vers l’imaginaire mais elle nous interroge aussi sur la façon dont notre perception du réel aboutit aux codes photographiques.
Anne-Marie Morice
Vu à
Sous les pavés les arbres
Aubervilliers
Du 06 au 08 juillet 2018
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