Gerard Traquandi, D’un été l’autre, Grand vert, Huile sur toile, 2023, 200 x 140cm
Face à cette huile sur toile, une lumière colorée semble rayonner dans l’espace qui l’accueille. Les nuances de couleurs paraissent remonter à la surface. Pour Gérard Traquandi, figure majeure de la peinture non figurative, les questions picturales relèvent des perceptions propres à chacun, celles qui restent en notre mémoire et nous rappellent aux lieux de nos promenades.
L’artiste se nourrit de diverses sources artistiques, allant des fresques, aux peintures de Giotto, Fra Angelico et Piero della Francesca face auxquelles il observe les lumières et les couleurs. Les artistes du XVIIe siècle tels que Nicolas Poussin, Pieter Paul Rubens, Philippe de Champaigne l’intéressent tant q’uil qualifie son art de « maniériste ». Ses premières expérimentations photographiques, à la fin des années 1970 l’amènent à s’intéresser aux phénomènes optiques, à l’impression et à l’empreinte. L’artiste est guidé par sa relation à la nature qu’il restitue d’abord sur des travaux sur papier, aquarelles, dans lesquelles il traduit ses perceptions colorées, représente des natures mortes et saisit par quelques traits vifs ses observations de paysages, notamment des arbres, des montagnes et des nuages. En ce sens, il se rapproche de Gustave Courbet, des impressionnistes, de Pierre Bonnard et Paul Cézanne, auxquels il se réfère. Lorsqu’il dessine, Gerard Traquandi songe aussi à l’œuvre de Giacometti, qu’il admire. Au début des années 2010, il décide de se détacher d’une gestuelle expressive pour laisser la place à une recherche colorée et à l’aléa. Sa pratique artistique oscille alors en permanence entre abstraction et figuration.
« J’aime quand il y a quelque chose de l’ordre de la ressemblance avec ce que j’ai vu, senti quelque part » explique l’artiste qui a l’habitude de marcher, d’arpenter régulièrement les paysages du Sud de la France, d’Italie et de Grèce, et de laisser s’imprimer des souvenirs en lui. « L'expérience du paysage se fait plus que jamais en le traversant, en le pénétrant ; le paradoxe du peintre, c'est de mettre à plat cette pénétration. » écrit-il dans ces notes d’atelier en 1998.
D’un été l’autre, Grand vert nous invite à revivre des sensations que nous pouvons apprécier au contact de la nature, où la lumière nous attire et guide notre déplacement. Pour la réaliser, Gérard Traquandi superpose plusieurs couches de couleurs très fines. Une sensation de profondeur se crée alors et une infinité de nuances colorées apparait. Notre regard est ainsi incité à circuler pour éprouver les vibrations de lumière qui nous attirent. Le dernier geste du peintre est celui du report consistant à poser puis à retirer de la toile sèche un papier enduit de peinture. Par cette action, des traces font apparaitre d’autres teintes colorées, telle l’expression d’un certain mouvement. « Je fais en sorte que ma peinture à l’huile soit très maigre » explique-t-il. La densité colorée tient au fait qu’il ajoute très peu de liant afin de préserver la richesse du pigment. L’artiste, qui développe une œuvre picturale all-over, considère « le tableau comme une surface à habiter ».
Sa démarche artistique est ainsi scandée par une pratique de dessin in situ durant ces promenades au contact de la nature et par un retour à l’atelier où face à la toile, il fait émerger les expériences de sensations colorées qu’il a éprouvées. A partir de deux ou trois couleurs, la puissance d’une lumière advient.
L’œuvre picturale de Gerard Traquandi implique un temps d’adaptation du regard. Elle nous invite à laisser la couleur nous parler et nous amène à revivre en pensées des émotions au contact de la nature. La lumière qu’elle contient se diffuse dans l’espace d’exposition qui l’accueille.
Pauline Lisowski
Vu à
Chapelle de la visitation,
Thonon-les-Bains
Exposition du 21 juin au 21 septembre 2025

