Compositions

Sophie Taeuber-Arp
  • Sophie Taeuber-Arp, Editions Galerie Denise René et Galerie d'Art Moderne, 1957. Photo J.P. Pichon. Droits Fondation Arp-1937-9, Composition dans un cercle.jpg
  • Sophie Taeuber-Arp, Editions Galerie Denise René et Galerie d'Art Moderne, 1957. Photo J.-P. Pichon. Droits Fondation Arp-1933-3 Composition à rectangles, cercles, carré, et carré de cercles
  • Sophie Taeuber-Arp, Editions Galerie Denise René et Galerie d'Art Moderne, 1957. Photo J.P. Pichon. Droits Fondation Arp-1934, Echelonnement.jpg

Composition dans un cercle, Composition à rectangles, cercles, carré, et carré de cercles, Echelonnements (entre 1928 et 1938). Issues d’un Portfolio, couverture noire en tissu avec signature imprimée, 10 planches volantes sur Bristol, texte de Léon Degand. Edition Galerie Denise René, Paris et Galerie d'Art Moderne Bâle, 1957. Sérigraphies réalisées par les Ateliers Arcay.  Hauteur : 48,50 Largeur : 38 cm.Tirage limité à 100 ex, numérotés de 1 à 75.

 

Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) a préféré poursuivre des études d’art appliqué plutôt que se « restreindre » à la peinture et sculpture. Elle put ainsi maîtriser de multiples disciplines, pour mieux exercer son génie créatif. 

Ce qui lui valut de diriger la section textile de la prestigieuse école d’arts appliqués de Zurich - et lui permit de pratiquer le design d’objets, la création textile, la peinture, la danse, le dessin, l’architecture, la sculpture avec une joie et une vitalité similaires. Avec son mari Jean Arp elle participa simultanément au mouvement Dada et à l’apparition de l’abstraction dans l’art occidental au début du XXe siècle. Cette nouvelle perspective pour la peinture en ce qui les concerne et comme le dit Eric de Chassey se situait dans le « rationalisme et tendait à remplacer l’arbitraire des formes par la régularité d’une structuration optimale de la surface picturale »1.

Selon son ami Max Bill, Sophie Taeuber-Arp aspirait « à une vie entièrement imprégnée de méthodes artistiques, dans laquelle tout se complète de manière judicieuse et harmonieuse, tout peut se développer sur la base de ses propres forces »2. Dans sa volonté de mettre au point un vocabulaire d’art total, Camille Bryen disait qu’elle cherchait à créer « un équivalent plastique de l’univers »3, - à l’image du coup de dés lyrique, de Stéphane Mallarmé. 

 

La Fondation Arp, à Clamart, lui consacre son exposition annuelle jusqu’à la fin 2023. L’exposition embrasse l’étendue des formats et matières qu’elle a employés. Elle dispose les oeuvres au sein de la maison-atelier, maison d’artiste qu’elle a dessinée et habitée avec son conjoint. C’est une belle occasion de mettre ses pas dans l’intimité créative de cette artiste puissante, à l’extraordinaire vitalité,.

Si Dada fut l’élément unificateur du couple qui s’est rencontré à Zurich et s’ils prirent chacun à partir de là leur propre orientation, ils surent s’unir dans leur travail mené souvent en commun, ainsi qu'en parallèle, et en proximité totale.

 

Chez Sophie Taeuber-Arp on peut noter la volonté affirmée d’embellir le quotidien, mais sans  surcharge, sans esprit d’imitation, sans rappel au bon goût, sans projet matérialiste d’augmenter la valeur des œuvres grâce à cet embellissement. En rejetant la tradition et la coutume, l’artiste insistait sur le fait de rester dans « l’authenticité », de ne céder ni à la « sentimentalité », ni au faux (qui consiste à « feindre », imiter, faire des « copies stériles »), ni à l’illusionnisme. Elle et son compagnon recherchaient une proximité avec la nature, - au sens de réalité matérielle. Leur attitude était de  «s’enrichir » perpétuellement, d’être proches de « l’essentiel », dans une forme « vivante » qui devient une « expérience vécue ».

 

Tout cela bien entendu reposait sur un langage artistique mûrement réfléchi, base solide qui lui a permis une grande liberté de création. Sophie Taeuber-Arp est la première artiste en Suisse à avoir recouru directement à des formes géométriques, en faisant de celles-ci son unique procédé pictural, « sans processus d’abstraction » dit-elle.  Elle compose par le dessin ou la peinture en combinant lignes, surfaces, formes, couleurs. Ses compositions découlent de l’étude des formes élémentaires, et de l’invention pour les combiner de façon chromatique et rythmique. Le rayonnement lumineux étant révélateur de l’oeuvre, il lui était important de choisir spécifiquement et répartir les couleurs en fonction de leurs aptitudes soustractive et additionnelle. Par leur rapprochement elle fait jaillir une lumière particulière qui mène à une synthèse visuelle.  

Epurer est pour elle incontournable, sa peinture vise à l’essentiel tout en se nourrissant d’un expérience authentiquement vécue. L’art en quelque sorte permet non seulement de mieux s’harmoniser à la vie, mais aussi de s’enfoncer dans la vie, si ce n’est de parvenir à une sorte « d’extase de l’expérience »4

Les compositions de Sophie Taueber-Arp ne sont pas des idées, elles sont des mondes. Ses objets d’art pourraient dans l’idéal s’assimiler aux formes de l’univers, cosmique ou quotidien, ou les suggérer.

 

Après la Seconde Guerre Mondiale, aux côtés de la figuration, du réalisme, de l’avant-garde, un courant abstrait se développe et se consolide. La participation féminine y est active5.  La galeriste Denise René s’oriente sur l’abstraction géométrique, Jean Arp est d'accord pour ce classement. Denise René décide de la publication de dix compositions de Sophie Taeuber-Arp qui était décédée de façon accidentelle en 1943, à l’âge de 46 ans. Le portfolio offre une bonne référence pour étudier une partie des concepts et de la méthode de l’artiste élaborés dans les années 30 et largement diffusés après guerre. 

Il présentait certaines gouaches choisies parmi les motifs récurrents de Sophie Taeuber-Arp. Le choix a tenu compte de l’équilibre à trouver entre de grands aplats de couleur et les contraintes techniques, notamment celles de ne pas sélectionner les gouaches où les nuances de couleur ne peuvent pas être vraiment rendues en sérigraphie. 

 

Ces oeuvres témoignent de l’importance de représenter le mouvement et l’énergie, principes absolus du vivant. Mais souligne Sébastien Tardy, co-curateur de l’exposition6 « Le vocabulaire sur le plan bi-dimensionnel s’y prête moins. Aussi elle fait volontairement le choix du contraste optique, par les successions de couleurs et de formes, plus ou moins en lutte, qu’elle met optiquement en relief et en mouvement. »

 

La Composition dans un cercle offre un bel exemple de la façon ludique dont l’artiste opère de l’intérieur le décentrage de la figure du cercle par des lignes courbes qui créent les motifs. 

 Dans la Composition à rectangles, cercles, carré, et carré de cercles si le carré bleu et les rectangles blancs dominent, ce sont les cercles qui créent le motif. Les cercles marquent par un effet de pointillé comme des étapes, bousculant la symétrie, imprégnant la composition d’une sorte d’effet clignotant qui oriente la perception cognitive.

Les Echelonnements reposent sur un jeu entre le déséquilibre et l’équilibre instable qui menace presque la stabilité de la composition. Celle-ci semble pouvoir se défaire à tout moment,  et ce serait le cas si les même pièces étaient en volume et posées sur un support.

 

Anne-Marie Morice

 

Notes :

1 -  Eric de Chassey, L’abstraction avec ou sans raisons, Gallimard, Coll Art et artistes, 2017

2 - Texte publié en 1943, cité dans le catalogue Sophie Taeuber, Rythmes plastiques, réalités architecturales, Fondation Arp, 2007 

3 - Camille Bryen, Sophie Taeuber-Arp, Georg Schmidt, Holbein-Verlag Basel, 1948, reproduit dans le catalogue ibid

4 -  Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Ed Gallimard, Paris, 1976

5 - Cf  l’exposition FEMMES ANNÉES 50 AU FIL DE L’ABSTRACTION, PEINTURE ET SCULPTURE. Musée Soulages 14 Décembre - 10 mai 2020

6 -  avec Mirela Ionesco et Chiara Jaeger

 

Vu à 

Exposition Sophie Taeuber-Arp plastique.multiple.unique

Du 15 avril au 10 décembre 2023

Fondation Arp

21 rue des Châtaigniers

92140 Clamart

Fondationarp.org