64 Tin Square

Carl Andre
  • Carl Andre, 64 Tin Square©Pierre Antoine

Carl Andre, 64 Tin Square, assemblage de 64 plaques d'étain carré de 1 x 20,3 x 20,3 cm, au premier plan à droite. Vue de l'installation au musée d'art moderne de la ville de Paris, photographie ©Pierre Antoine (http://www.pierreantoine-photos.com)

 

Figure majeure de l'art minimal, Carl Andre a effectué un tournant dans l'histoire de la sculpture. Il l'a descendue de son socle pour en faire une œuvre sur laquelle on puisse marcher. Sa démarche, redécouverte à l'occasion de sa rétrospective « Sculpture as place, 1958 – 2010 » au musée d'art moderne de la ville de Paris, nous incite à réapprofondir les définitions de l'installation et de l'art in situ. Construite de façon chronologique, cette exposition proposait différentes relations du spectateur à l’œuvre, l'invitant à la fois à être face à la sculpture, à la contourner ou à la parcourir.

Pour Carl Andre, en effet, l’œuvre idéale est celle qui s'articule à un lieu. D'une famille de bâtisseurs, cet artiste a développé un intérêt pour les matériaux de construction. Il joue avec les volumes et les formes, selon des logiques de l'ordre de la combinatoire, de la déclinaison et de la répétition. Le geste du sculpteur n'est plus de fabriquer, de transformer, aucune trace de l'artiste, le matériau est utilisé comme tel, pour ses caractéristiques, forme, poids, surface. Sa matière, ses qualités plastiques sont ainsi mises en lumière.

L'intérêt du travail de Carl Andre réside également dans son approche de l'exposition. A chaque invitation à exposer, il revendique la nécessité de venir sur place, de prendre la mesure de l'espace et d'explorer la ville. Cette attention au lieu se double d'un choix spécifique des matériaux : il choisit uniquement ceux qui sont disponibles dans le territoire. De fait, chaque œuvre incarnerait les ressources du lieu de l'exposition pour laquelle elle est réalisée. Si on peut rattacher le travail de Carl Andre à un art de l'in situ, plus précisément, sa pratique artistique peut être qualifiée de contextuelle.

Réinstallée au musée d'art moderne, 64 Tin Square, réalisée en 1976, à New York, est une œuvre sur laquelle marcher. Elle est constituée d'un assemblage de 64 plaques d'étain carré de 1 x 20,3 x 20,3 cm, les Square, qui sont préfabriqués, alignés, assemblés, sans aucun moyen de fixation. Cette sculpture est une surface de 162,6 x 162,6 cm, un espace à franchir, un territoire à parcourir. Elle crée une découpe dans l'espace de l'exposition. Tel que l'affirme Carl Andre, elle est « un lieu à l'intérieur d'un environnement qui a été altéré de sorte que l'environnement général soit plus visible1 ». Si de prime abord, le visiteur serait amené à la contourner, un cartel nous indique qu'on peut y marcher. Aucun point de vue privilégié, aucun sens de lecture suggéré, la sculpture mise à plat, laisse la liberté au spectateur de prendre le temps de s'y promener. Par son déplacement, celui-ci mesure à la fois l’œuvre, son environnement et ressent son atmosphère. Cette proximité physique avec la sculpture le conduit notamment à ressentir son propre corps. Devenu acteur, regardant l'espace d'exposition, il prend plaisir à observer les autres spectateurs et se fait lui même sujet d'une attention de la part des autres visiteurs.

Avec cette nouvelle série, commencée en 1967, Carl Andre révèle de façon encore plus forte les qualités des matériaux. Les Square s'activent aux pas des visiteurs. Libres de leurs déplacements, les piétinant, ils enclenchent des sons. Ces œuvres peuvent ainsi être considérées comme de potentiels instruments.

Assemblages d'éléments identiques, tels un jeu à l'échelle humaine, les Square manifestent également de potentielles nouvelles combinaisons, à l'infini. Elles incarnent une double mobilité et une infinité de changements. Elles se marquent au fur et à mesure des effets du temps et des déplacements des visiteurs.

Ainsi, la sculpture de Carl Andre peut être vue aujourd'hui comme l’œuvre qui a introduit une conception particulière de l'exposition. Les règles que l’artiste s'est donné peuvent être sources d'inspiration pour des commissaires et scénographes.

 

Pauline Lisowski

 

1Carl Andre, cité dans David Bourdon, « A redefinition of Sculpture », in Carl Andre : Sculpture 1959-1977, New York, Jaap Rietman, et Austin, Laguna Gloria Art Museum, 1978, p. 28.

Citation issue de « Au sol : règles de base » d’Anne Rorimer, in Carl Andre, sculpture as place 1958-2010, 2016, Paris Musées.

 

Vu à 

Musée d'art moderne de la ville de Paris

Rétrospective Sculpture as place, 1958 – 2010

Du 

18 octobre 2016 au 12 février 2017