North

Ali Kazma
  • North, 2017 Courtesy de l’artiste. © Ali Kazma
  • North, 2017 Courtesy de l’artiste. © Ali Kazma
  • North, 2017 Courtesy de l’artiste. © Ali Kazma

North 2017, Diptyque vidéo HD synchronisé, couleur, son, 5 min 10 s.Production : Jeu de Paume, Paris, avec l’aide de la SAHA Association, Istanbul. Courtesy de l’artiste. © Ali Kazma

 

Ali Kazma choisit d'enregistrer en vidéo des points particuliers de la planète selon un plan d'exploration déterminé par sa curiosité, et sa volonté de s'y confronter ou de comprendre l'histoire politique au travers de l'apparence des lieux. L'expérience des pays, des individus, des sites, il veut en connaître le parfum, la lumière, la chaleur, la sonorité, y être pour de vrai et rendre cette existence tangible à son public.

North a été filmé en avril 2017 dans l'île de Spitzberg, au nord de la Norvège près de l'Arctique.

Dans cette région charnière entre l'Europe et l'Union soviétique, qui a fait les frais de situations politiques complexes, Ali Kazma a visité une ancienne mine de charbon exploitée des années 30 aux années 80 par les Soviétiques. Désormais désaffecté, ce hameau implanté dans un environnement immaculé, s'était développé en différents bâtiments répondant à tous les besoins de la colonie y oeuvrant : travail, loisirs, restauration, éducation, famille. La projection en diptyque opère une narration en plans fixes de la friche fantome de ce monde du travail désormais sans travailleurs.

Les images sont figées comme le temps de ce lieu.Temps cristallisé dans les objets restants : mobilier, mosaïques, photos officielles au mur voisinant avec des icones religieuses, un portrait de Staline encadré de lauriers, un buste de Lénine surmontant la flamme rouge des pionniers. Les images s'enchaînent et se juxtaposent établissant des correspondances narratives entre les différents lieux de vie : salons, salle de projection cinéma, salle de classe, de sport, chambres qui devienent des théâtres de mémoire décrépis. Ali Kazma a créé ses plans fixes à l'épaule ou au trépied, et a agencé les diptyques de façon dit-il à « permettre un plus grand champ narratif, ouvrir l'espace pour happer, inviter le spectateur à entrer dans cette projection monumentale » qui est l'une des pièces majeures de l'exposition du Jeu de Paume.

Ali Kazma accorde une très grande importance au son associé à l'image de façon quasi intuitive, sons du réel ou contrepoints. Dans North, le son rend le lieu présent, lui confère un mouvement et confère à la vidéo un marqueur de sa date de création.

 

Se voulant délié de toute position d'autorité, Ali Kazma se dit à la fois témoin et participant.Il crée des correspondances pour plonger dans une relation qu'il ne cherche pas à nous imposer même s'il nous incite à suivre sa méthode visuelle. »1 Ainsi les passerelles en bois descendant dans la mine dessinent des traits dans le paysage banc immaculé qui semble immuable mais est en fait lui-même extrêmement menacé.

La fragilité d'une puissance idéologique, riche de sa puissance culturelle et matérielle, qui a soutenu un grand rêve d'émancipation sociale est capturé avec le regard précis, rythmique, de l'artiste qui traque ce qui lui reste d'éloquence pour nous faire humer le parfum de ce passé révolu. Pour tracer cette interrelation entre passé, présent et différentes valeurs politiques, Ali Kazma ne reste pas dans l'impuissance. D'une façon générale, il « bannit tout effet de pathos (…) et en arrive à un rapport d'altérité » comme l'a remarqué dès 2007 Paul Ardenne2. Selon ce dernier, il pratique la vidéo à la façon d'un peintre dont le regard devra se dégager d'une « proximité passionnelle ». Se dégageant de la vision strictement documentaire il veut en tant qu'artiste être « celui qui observe de manière discrète, qui choisit précisément le cadre, qui se décale pour avoir des points de vue différents. Il tient à ce que son travail soit imprégné de sa curiosité et que celle-ci soit partagée avec le public. Il raconte l'importance d'être curieux alors que le monde et ses représentations bougent ; il n'entretient ni nostalgie, ni culte dans son mode de représentation.

L'artiste déclare : « Je suis intéressé par la façon dont nous créons et intervenons sur le monde, et comment il nous transforme. Je décris différents types d'activités que nous exerçons en habitant un monde global, où se pose la question de la place du passé dans le présent. La façon dont le temps est présenté, préservé, organisé en fonction d'un mécanisme qui à un moment se casse. Il donne à éprouver un passé sans nostalgie ni regret mais contenant une mélancolie, le présent de ce qui est mort dans ce qui vit.»3.

 

 

Anne Marie Morice

1Entretien avec Pia Viewing commissaire de l'exposition

 

 

Vu à

Ali Kazma Souterrain

du 17 octobre 2017 au 21 janvier 2018

Jeu de Paume (Paris)