dor, 1975. Installation vidéo en circuit fermé, dimensions variables, 1 caméra vidéo, 1 vidéoprojecteur, 1 projecteur de lumière. Vues d’exposition de l’installation présentée dans l’exposition « peter campus. video ergo sum » au Jeu de Paume, 2017 (c) Jeu de Paume, Raphaël Chipault © Peter Campus 2017
Dans un couloir éclairé menant à une chambre obscure est placée une caméra orientée vers l’entrée de cette chambre. À l’intérieur, l’image de la caméra est projetée en direct sur le mur qui est dans le prolongement de l’entrée. Ainsi l’image du visiteur ne peut-elle se former que lorsque celui-ci est dans le champ de la caméra et dans la zone de lumière, c’est-à dire encore dans le couloir. Mais il ne pourra s’apercevoir que s’il est déjà un peu dans la chambre obscure, sur le seuil, et ce sera toujours de profil.
Peter Campus est l’un des plus importants artistes précurseurs de la vidéo. Toutefois, la nature de ses œuvres, aux réglages particulièrement délicats, a limité leur présentation. L'exposition au Jeu de Paume, la première en France, est, à ce titre au moins, exceptionnelle, en ré-installant les œuvres de la période majeure de sa création : les dispositifs « interactifs » des années 1970 qui constituent autant d’énigmes où les doubles de soi-même ne coïncident jamais, où la relation à son image est toujours problématique.
Dans ces installations en circuit fermé, le visiteur doit entrer dans un champ d’expérience, venir y jouer, y risquer quelque chose de sa propre image, sans quoi rien ne se passe, l’œuvre n’a pas lieu. Il pénètre à l'intérieur d'étranges camera obscura, son attention peut se concentrer sur la seule image-lumière, où celle-ci peut avoir de grandes dimensions grâce au videoprojecteur et se former sur toutes sortes de surfaces, où le réfèrent de cette image peut être inclus dans l'espace même de sa projection...
Ainsi dans le dispositif dor il existe un point limite où l'image bascule en sa négation. dor est installé de telle sorte que l'image du visiteur se forme correctement au moment où il entre dans la salle, mais le seuil où il se tient est dans le prolongement du mur sur lequel cette image est projetée. Ainsi doit-il choisir entre être vu et ne pouvoir se voir, ou tenter de se voir et risquer de se perdre. Le point d'observation (celui du spectateur) est radicalement détaché du point de vue (celui de la caméra) — dissociation qui autorise la production de l'image — , mais ce point de vue étant rabattu en quelque sorte sur le point de distance, intégré au plan de projection de l'image, il en rend problématique la perception. Il n'y a pas d'image sans la présence de quelqu'un sur le seuil, il n'y a plus d'image si le seuil est franchi. Le voyeur n'a pas à entrouvrir la porte, il est condamné à une posture de regard oblique, prolongeant la surface de projection.
Les installations de Peter Campus relèvent à la fois des fantasmagories d'Etienne Robertson et des cabinets de perspective du XVIIe siècle, comme le cabinet d'anamorphoses optiques du père Du Breuil où des visages surgissent et disparaissent selon la position du visiteur. Mais c'est l'image de ce dernier qui nourrit ici l'illusion. Si le feed-back vidéo permet en effet au sujet d'être au même instant l'objet de son propre regard, Campus produit entre le sujet et cette projection de lui-même un rapport délibérément difficile, instable, étroitement contrôlé, quasi impossible. C'est à travers cette organisation d'une relative frustration du regard qu'il va permettre au spectateur d'expérimenter une situation psychologique et perceptive inhabituelle, tout en s'éprouvant comme sujet de la représentation.
Anne-Marie Duguet
Commissaire de l'exposition
Extrait du catalogue de l'exposition « Peter Campus – Video ergo sum », Jeu de Paume, Paris, in peter campus anarchive 7, éditions Anarchive, 2017
Vu à
Exposition « Peter Campus – Video ergo sum »,
Jeu de Paume, Paris,
du 14 février au 28 mai 2017