Film cinématographique 35 mm noir et blanc, 60 mn, sonore. Installation avec un ballon-sonde météo gonflé à l’helium. Recréation au MACBA avec la vidéo uni-piste montée en 1994. Charlotte Wolman Archives, Paris. D.R.
En 1951, après avoir prêté sa voix dans Le Traité de bave et d’éternité d’Isidore Isou et avoir écrit le poème introductif à Le Film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître, Wolman réalise à 22 ans un film en 35 mm L’Anticoncept, qui le propulse dans cette éternité créatrice (« je suis immortel et vivant » y entend-on).1 S’il est étonnant de voir une œuvre dont le titre semble en avance sur Henry Flynt et son Concept Art de 1961, sinon de l‘Art Conceptuel des années soixante, il faut bien en saisir la portée tant l’oeuvre se veut anticonceptuelle, autant que le Lettrisme l’est, qui tue le concept afin de musicaliser le langage. Mais son dispositif renvoie à celui d’installations plastiques quasi contemporaines : nulle image dans ce film, sinon des flashes de ronds blancs alternant avec du noir complet, le tout projeté sur un ballon gonflé à l’hélium en guise de nouvel écran. La bande son d’une heure est entièrement interprétée par Wolman contrairement à tous les films lettristes de l’époque), qui profite aussi de l’occasion pour expérimenter les vitesses des magnétophones, provoquant des résultats sonores qui étonnent encore aujourd’hui. Si les films d’Isou (séparation totale du son et de la bande image) et de Lemaître (intégration des spectateurs dans l’action du film) sont esthétiquement liés par des images dites ciselantes, le film de Wolman provoque une rupture, dans ce qui est déjà une rupture dans l’histoire du cinéma et entraîne à sa suite en 1952 le film de Guy Debord : Hurlements en faveur de Sade (lui aussi en absence d’images et alternance de noirs et blancs, film du reste dédié à Wolman) ainsi que Tambours du jugement premier de François Dufrêne qui n’a plus d’écran ni pellicule, le film étant lu in situ. L’Anticoncept subversif par son absence d’images sera interdit par la censure et Wolman devra subir les relances des laboratoires professionnels afin de payer les dettes contractées.
On évoque souvent ceux qui se sont battus pour obtenir le droit de vote ou établir la charte des Droits de l’homme : il faudrait aussi se rendre compte de notre dette envers ces artistes pionniers, qui ouvrent dans le cinéma la voie à la Nouvelle Vague et au cinéma expérimental, puis à la démocratisation totale de l’acte de filmer, via la vidéo ou les technologies numériques. De même que la poésie physique présente dans la bande-sonore, ce film entend provoquer une réaction physique des spectateurs qui, même les yeux fermés, en perçoivent les flashes lumineux. Inutile d’insister sur l’effet pré-flicker, qui deviendra l’un des stéréotypes du cinéma underground, ni même de souligner le lien plus ténu reliant la partie virtuelle du film à la Dream Machine conçue par Brion Gysin une décennie plus tard.
La France prendra en 2003 des arrêtés techniques visant à limiter l’effet indésirable de l’effet flicker, ce qui laisse penser que ce film, si la censure n’était pas encore levée – ce qui ne semble pas être le cas – serait à nouveau interdit pour des raisons purement sensorielles.
En avril 1952, le scénario du film est publié dans la revue Ion, qui rassemble la quasi totalité des forces lettristes, auxquelles s’est adjoint Guy Debord, nouvellement arrivé à Paris.
Frédéric Acquaviva
Texte extrait du catalogue de l’exposition I AM IMMORTAL AND ALIVE dont F. Acquaviva a été co-curateur en 2010.
Vu à
MACBA (Museu d’art contemporain de Barcelone)
4 juin 2010 – 9 janvier 2011