Catherine Poncin
Photographies,
tirages barytés noir et blanc contrecollés sur aluminium, poliptypques,
Les vestiges des bassins miniers sont devenus des curiosités touristiques. Mais avec sa série Mémoires de fosse l'intention de Catherine Poncin n'était pas d'esthétiser une époque heureusement révolue avec des reliquats d’images qui joueraient un rôle de séduction morbide illustrant la condition humaine et la nécessité du progrès. Grâce à la faculté rare qu'elle possède de détourner du passé ce qui reste vivant, - un vivant qu’elle fait remonter, entier, des lieux d’archivage de la mémoire collective, en l’occurrence le fonds photographique du Centre historique minier de Lewarde -, Catherine Poncin va au plus profond de ce lourd patrimoine.
Partant d’images documentaires qu’elle a sélectionnées puis rephotographiées, elle intervient en considérant ces photographies autrement, selon de multiples points de vues qui l’entraînent aux périphéries ou dans les arrière-plans du sujet principal. Les nouvelles photographies qu’elle extrait de cette exploration deviennent ainsi matière à une scénographie puissante, à base de grands formats et de séries cadencées où se lit un monde de ténèbres qui parle autant de l’exploitation minière, que des mines d’images; d’une introspection de la matière aussi bien houillère que photographique; du prélèvement et de la révélation.
Ces images installent une tension psychique qui se nourrit de symbiose et de rejet, en faisant coexister jusqu’à l’intime le minéral, l’animal, l’humain. Le travail du regard et de la mise en perspective creuse les dos comme les mineurs creusent les veines, fouille les ombres, sature les zones lumineuses. Nous parcourons les côtoiements rugueux de noirs et blancs saturés, grenus, veloutés. Peu à peu nous sommes saisis par une prémonition, comme si du combat entre la mine et l’homme ce dernier resterait prisonnier de la gangue, destiné, à terme, à devenir fossile, fondu dans la matrice terrestre. Les corps deviennent des éléments de sculpture, des fragments de statues recouvertes de cendres, aux traits masqués et redessinés par les dépôts de poussière noire. Mais le noir respire aussi, et c’est dans les détails que les vivants se réveillent, accompagnant par des mouvements resserrés, et avec une économie de moyens, la découverte du filon auquel, unis, hommes et animaux, ils s'attaquent.
Dans la dimension tragique d’un environnement qui a blessé, déformé, maltraité et tué, les gestes sont sobres, efficaces, et les outils brutalement fonctionnels. Ils parlent de l’instrumentalisation de l’homme par l’homme, de la civilisation.
A l’heure où l’on visite, comme des musées, les parcelles de souterrains gagnés par l’explosif, les pics, la sueur, le labeur et l’ingéniosité, le travail de Catherine Poncin libère quelques fantômes de ces gouffres. Ses extérieurs sur les terrils gagnés par la végétation prolongent et apaisent ces « mémoires de fosse ».
Anne-Marie Morice
Texte écrit en décembre 1998 pour l'exposition au Centre historique minier de Lewarde
Vu à
Catherine Poncin PARCOURS 1997/2019, Evreux
Musée d’Art, Histoire et Archéologie | 15 juin-17 novembre 2019
Maison des Arts Solange-Baudoux | 15 juin-24 août 2019
Soumis par admin le lun, 06/10/2019 - 18:12