18,8 x 17,7 cm - Vintage print on PE paper, 1970. Courtesy Priska Pasquer, Cologne
Cette photographie faite en 1970 fut mise à l’honneur de l’édition 2018 de Paris Photo sous une nouvelle version, monumentale. Effigie d’une Foire placée sous le signe des femmes photographes, elle contient un concentré d’informations et de signes qui résonnent avec notre époque.
Ulrike Rosenbach est une artiste allemande qu’on qualifierait maintenant d’artiviste1. Cette élève de Joseph Beuys a très tôt considéré que l’acte artistique s’apparente à un délit, ne qualifie-t-on pas souvent une œuvre de « transgressive» ? Dans son approche de la tradition culturelle patriarcale et de l’image de la femme que cette culture a produit, Ulrike Rosenbach a mis à nu certains des clichés qui prédéfinissent le féminin. En bonne militante elle s’est emparée de moyens d’expression innovants et pas encore trop monopolisés par les artistes masculins : la vidéo et la photographie. Elle créera plus tard à Cologne la School of Creative Feminism.
Cette photographie retouchée reprend l’une des 33 sérigraphiesqu’Andy Warhol consacra à Elvis Presley, en 1960, eninscrivantsur fond argenté en double, en triple, en noir et blanc transparent ou en couleur, une image tirée du film Flaming Star. Dixans après la série l’artiste pop et sans l’accord de cellui-ci, Ulrike Rosenbach infiltre l’image et,avec intrépidité,ajoute la siennepropre à celle de la star du rock n’ roll. Elle s’y impose même, à la même échelle, redoublée, habillée de façon quasi identique, en jean et double ceinturon en cuir, mimant le geste de braquer une arme à feu vers le regardeur.
Par cet acte, elle s’intronise elle-même icône. Aux archétypes qui pèsent sur les photographies de femmes, la plupart du temps fabriquées, modelées par le cadrage, les éclairages, les accessoires, la pose, elle répond en s’attribuant ceux de la virilité, de l’agressivitéet du succès. Le traitement warholien par silhouettagegomme les formes féminines. Avec lui, le corps des icônes de cette époque est auratique et non-genré, il est lisse, etse détoure facilement. Ce qui n’enlève rien à la charge érotique de l’image d’Ulrike Rosenach qui tient beaucoup au fait que la séduction qu’elle opère est celle de la vigueur, de la toute puissance, de la fermeté, émanant d’une créature en quelque sorte au-dessus des genres.
Elle prend ainsi le contrôle de sa représentation sur les regardsqui l’observent ets’intègre au sein deplusieurs stars systems : ceux des médias, de l’art, dushow business. Par la même occasion elle commence à s’affirmer en tant quemedia-artist. La rencontre entre l’image et le document lui permettra d’être toujours active, de se produire, dese mettre dans lalumière, en détournant les codes par le costume, la mise en scène.
Ulrike Rosenbach explique elle-même le caractère processuel et performatif de sa démarche 2: « My work is a confrontation with my own identity as a woman. It is critical and experimental work, caught up in a permanent discussion phase. Beyond the level of self-portrayal, the actions are descriptions of mental states, the retroactive products of social conditions. »
Est ce parce que sur cette image elle est tout à la fois réfléchissante et rayonnante, prédatrice et mimétiqueque l’artiste se considère comme une criminelle ? A qui porte atteinte cette œuvre ? Au droit moral des deux artistes masculins ? On peut cependant supposer qu’Andy Warhol ne s’y serait pas forcément opposé puisqu’il eut la générosité de faire don de l'un de ses écrans de sérigraphie à ElaineSturtevant afin qu'elle produise ses propres versions des « Flowers ».A leur image dont elle tire profit ? En matière de guerre, Ulrike Rosenbach se révèle être à la fois pirate et stratège.
Anne-Marie Morice
1 Artivisme, Stéphanie Lemoine, Samira Ouardi, Artivisme, Éditions Alternatives, 2010
Vu à
Paris Photo 2018
8 – 11 novembre 2018
Galerie Priska Pasquer (Cologne)