Sphère de ciel - ciel de sphères, 2004-2018. Acier inoxydable, 3 éléments, diamètres 280 cm, 210 cm, 160 cm. Galerie Catherine Issert, Saint-Paul, photographies © Marc Domage. Photographie de 2005, courtesy Galerie Catherine Issert © François Fernandez
Vladimir Skoda pourrait faire siens ces mots de Novalis «Il n’est pas de plus grande joie que de tout comprendre »1, lui qui appartient à cette catégorie d’artistes qui, loins de fuir le réel, s’y confrontent physiquement, intellectuellement, mentalement et inlassablement. Des analogies qu'il suscite entre la science et l’intuition, l’intention et le hasard, le travail manuel et le concept naît une œuvre très particulière qui « résulte d’une recherche quasi-scientifique (...) ensuite transformée, métabolisée par l’imagination artistique et la fantaisie »2.
Son travail de sculpteur commence par l’adoption du métal, matériau qui au XIXe siècle a révolutionné l’univers des formes. Grâce à la possibilité du travail à la forge, et de l'utilisation du marteau-pilon qui permet de frapper le métal avec force et précision, dans un embrasement quasi-solaire, il crée des pièces d’envergure qui dialoguent avec la science et l'histoire des idées.
Méditant sur la phrase de Paul Klee « La sculpture donne le choix entre deux principes : enlever ou rajouter de la matière. » Skoda préfère suivre une troisième voie : celle de transformer la matière d’origine, le métal, pour en créer un nouvel état qui garde en lui l’énergie, sans enlever, ni rajouter, ni perdre de cette matière.
En 1988, avec la sphère, Skoda aborde une phase décisive de sa recherche. En alchimiste moderne il se trempe aux sciences exactes et les oriente vers l’assimilation artistique des lois de l’Univers. La sphère est une figure mathématique fondamentale, bien définie. Les astrophysiciens savent que l'Univers est courbe, et que la logique euclidienne n'y fonctionne pas. La ligne droite n’est qu’une convention « locale » de même l'illusion d'optique qui nous fait décrire le soleil comme un disque puisqu'il ne nous apparaît jamais dans sa dimension courbe. Les premières sphères de Skoda endossent ce modèle cosmologique pour en décliner les implications esthétiques. Au début opaques, elles laissent libre court à l'imaginaire aussi bien pour leur contenant, la mystérieuse « matière intérieure »3, que pour ce qui converge dans la notion de surface. Elles deviennent aussi des symboles propices à une méditation dénuée de connotation religieuse.
C’est dans les années 90 qu’il commence à façonner des « sphères ajourées » multipliant les ouvertures et les possibilités optiques. Ces boules en acier perforé sont composées de triangles, -encore une figure géométrique pure -, fixés les uns aux autres par des boulons. Cette série intitulée Sphère de ciel - ciel de sphères, dont les premiers exemplaires sont apparus en 2004, véhicule de nombreuses significations. Par elle, il poursuit son étude raisonnée de l’organisation du Cosmos mais cette fois-ci en inversant son positionnement puisqu'il se place à l'extérieur d'un espace devenu vide.
Dans une première étape il reprend la notion de sphère céleste dont on ressent visuellement le phénomène du point de vue de la Terre. La fameuse gravure sur bois Universum de Camille Flammarion qui décrit la forme du ciel comme une sphère trouée par les étoiles derrière laquelle se trouvent d'autres univers qui l'entourent, les architectures cylindriques de Claude-Nicolas Ledoux l'aident à formaliser sa vision à la fois astronomique et humaine.
Mais, au vu des progrès de la science, la connaissance de l'espace s'est considérablement complexifiée. L'homme n'en est plus le centre et l'univers n'a plus de forme close. Skoda se dit particulièrement inspiré par les Célestographies d'August Strindberg, images de traces de lumière célestes, un enregistrement du firmament directement imprégné sur plaques photosensibles sans passer par un appareil photo. Les sphères aérées de Skoda fonctionnent comme des dispositifs captant les flux de lumière et dialoguant avec leur impact direct sur l'environnement terrestre, environnement désormais dépourvu de matérialité.
L'art de Skoda est guidé par sa passion de transposer les interactions physiques entre intérieur-extérieur, univers et globe terrestre, visible et déductif. Il dialogue avec les contextes mais garde sa force subjective. Trois éléments de cette série positionnés en triangle mettaient en perspectives le jardin des Tuileries et l'axe de la Concorde dans le programme Hors les Murs de la FIAC 2018. Les solides de Vladimir Skoda, aérés, aériens, nous font voyager dans l'espace-temps, et réintègrent l'infini dans le moment présent.
Anne-Marie Morice
1Novalis, Les Derniers Fragments 1799-1800
2Miroslava Hajek, catalogue de l’exposition Vladimir Skoda, Mysterium Cosmographicum, Johannes Kepler, Musée Kampa, 2018
3Entretien avec l'artiste le 25 octobre 2018.
Vu à
FIAC Hors les murs
Galerie Catherine Issert
18 – 21 octobre 2018
Paris
Site de la galerie
https://www.galerie-issert.com