Photographie sur Duratrans montrée dans un caisson lumineux de 120/160 cm.
« Depuis vingt ans, Andrée Philippot-Mathieu croise médias et techniques : peinture, photographie, sculpture, image numérique… Ce qui pourrait n’être qu’habileté ou virtuosité, autrement dit, et cela serait déjà beaucoup, un art subtil de brouiller les pistes et de décaler les regards, s’affirme comme une démarche radicale de confrontation avec la photographie. La photographie en tant qu’invention, procédé qui, dès l’origine revendique la mimésis, la similitude, avec une claire volonté de classer, de normaliser, de fixer l’identité. » Robert Bonaccorsi (1)
Dans la série Waste Lands, Andrée Philippot-Mathieu tisse un art de destin, en étendues de nuit, en envahissements, en demeures envoûtées. Pour elle la nuit absorbe les différences. Elle ne les abolit pas. Elle maintient intactes les traces et les cicatrices. Traversée d’incertitudes, elle règne.
L’artiste n’aveugle pas les failles, ni les fatigues du temps. Les passerelles d’hier et d’ailleurs sont ouvertes. Ce qu’hier a dit, demain l’entend toujours, et le présent fragile s’abandonne à l’absence des gestes. L’humain a disparu, et ses architectures désertées étreignent le vide. Il n’y a plus d’horizon. Des signes d’art, ici et là, sont signalés, et d’inépuisables gisements de silence. Dans les univers effondrés du déjà vécu, l’humanité n’apparaît plus qu’en signes délaissés. Dans ces tombeaux d’espace ultime, les bâtisses d’humanité ont appris à vivre seules. Dans l’ombre des clartés vaincues, la terre a perdu l’homme…
Ce qui apparaît peut s’en aller. Aller sans. Ce qui disparaît peut se souvenir d’avoir existé. Ce qui a disparu a la capacité de revenir hanter nos mémoires. Les vertiges sont là, à fleur de présence. Dans cette immobilité envoûtée, dans ce vertical creuset d’altérité qui bloque à jamais l’errance de l’espace, couvent les secrets de l’impensable plénitude, et peut-être les sourdes tensions d’un drame enfoui, archaïque et souterrain. Harmonie piégée et territoire d’inquiétude vont de pair.
Par ce théâtre de l’indicible, quasi découpé au scalpel, Andrée Philippot-Mathieu dit le deuil de toute surface. Elle dit aussi l’entre-vie et l’entre-temps des choses humaines, des énergies végétales, des abandons nocturnes, et des terres dévastées. La brutalité des couleurs, comme le sang, s’est retirée. Des îles de blancheur, en taches allusives, vibrent dans ces calligraphies d’immensité. Peut-être les traces abandonnées par l’être immense et lointain qui rêve en silence dans l’arrière-monde d’Andrée Philippot-Mathieu, voyageuse des extrêmes du dehors et du dedans?
Un chemin de fer, en oblique précaire, esquisse une passerelle de nostalgie. La végétation elle-même hésite entre poudreuses poussières de nature détruite et lentes reprises vitales. Des verticales ténues accidentent le poids lourd d’une horizontalité massive et blessée.
Cependant, au bord de l’abîme, la vie et l’énergie tressaillent. Entre falaises de nuit et déchirures mentales, on devine d’imperceptibles mouvements d’univers… D’infimes respirations rentrées. Le cœur de l’opacité bat plus lentement qu’une vie d’homme. L’éveil est latent, l’élan s’arrête sur une énigme.
Christian Noorbergen
(1) Catalogue de l'exposition Andrée Philippot-Mathieu, De l'intime au collectif, Villa Tamaris, 2009
Vu à
Galerie municipale Jean Collet,
Vitry-sur-Seine, France
10 Sep - 16 Oct 2011