N66°50.629′

Magali Daniaux et Cedric Pigot
  • N66°50.629′ – W162°34.798 ©Magali Daniaux et Cédric Pigot
  • Vue d'ensemble de l'installation ©Magali Daniaux et Cédric Pigot
  • Vue d'ensemble de l'installation ©Magali Daniaux et Cédric Pigot

Le disque vinyle N66°50.629′ – W162°34.798 est la pièce maîtresse du projet Les Heures Diluées de Magali Daniaux et Cédric Pigot, projet qui combine des médias multiples (performance, poésie, photographie, enregistrements sonores et vidéo) afin d’encoder une trace biomatérielle unique — ce qu’ils appellent une “anomalie archéologique” — sous forme d’un enregistrement à la fois géologique et musical. N66°50.629′ – W162°34.798 qui comporte quasiment 30 minutes de musique originale et de poésie parlée est un disque présentant un support en vinyle mais qui a été pressé avec les cendres d’une cargaison de bûches acheminée par le couple jusqu'à Kotzebue, Alaska, puis brûlée.

Le projet a commencé par un hêtre que Daniaux et Pigot ont acheté pour 10 euros dans la forêt entourant la résidence Schloss Solitude à Stuttgart, en Allemagne. Puis ils ont découpé l’arbre en bûches qu’ils ont ensuite rangées dans des caisses de transport. Après des mois de négociations, ils ont finalement réussi à franchir les obstacles douaniers pour que les bûches arrivent en Alaska. Au cours de ce processus, Daniaux-Pigot ont travaillé avec Auréade Henry, une archéobotaniste spécialisée dans l’étude des charbons et de la gestion des ressources végétales par les populations des régions du Pacifique Nord.

A l’écoute du disque, la cendre intégrée perturbe subtilement le tissage sophistiqué de sons électroniques et de texte parlé. Soutenues par les atmosphères électroniques luxuriantes de Pigot, les incantations poétiques de Daniaux vont du cosmologique (« cérémonies décomposées – de planètes en planètes ») au microscopique (« molécules tamponnées de chiffres et d’espaces »), tout en renforçant les aspects géologiques, personnels, mythiques et zoologiques. Interrompant leur texture délicate, le doux grattement de la cendre contre l’aiguille produit une secousse indicielle intermittente dans un terrain par ailleurs chargé d’affects. Cet artefact de grésillement légèrement exagéré résonne avec le bruit ordinaire du feu qui crépite et claque, une figure centrale dans la genèse du projet de Daniaux-Pigot. Pourtant, par-delà la congruence purement métaphorique – trouvée dans un autre exemple entre les anneaux du tronc d’arbre et les sillons du disque – le LP de Daniaux-Pigot met en exergue la trace matérielle. Leur enregistrement vinyle devient un enregistrement géologique.

Les Heures Diluées insiste sur cette trace radicale, l'enregistrement unit la cause et l’effet. Historiquement, la technologie de l’enregistrement a été comprise comme l’introduction de la possibilité philosophiquement significative de séparer les sons de leurs sources, dissociant les effets de leurs propres causes. Le compositeur français Pierre Schaeffer, paraphrasant Pythagore, a qualifié ce phénomène “d’acousmatique”. En réinscrivant physiquement les restes de cendre dans le media enregistré, Daniaux et Pigot fusionnent cause et effet géologico-sonores, suggérant ce que nous pourrions être tentés de qualifier d’ashcousmatics (1).

G. Douglas Barrett

2016

1) Ndt : en anglais, “ash” = “cendre”

 

Vu à 

Anchorage museum, Etats-Unis

6 mai - 2 oct 2016

Exposition View from up here : The Arctic at the Center of the World 

https://www.anchoragemuseum.org/exhibits/view-from-up-here-the-arctic-at...

 

Site des artistes

http://daniauxpigot.com/ 

Edition du poème The Diluted Hours dans sa version originale en anglais et dans sa traduction en inupiaq et en français dans un même volume aux Éditions Supernova.

http://www.supernovaeditions.com/