Meun

Simon Hantaï
  • Meun ©Simon Hantaï

huile sur toile, 233 x 182 cm, 1968, achat du Centre Pompidou 2003.

 

En 1998, pour la revue Art Press, Karim Ghaddab commence ainsi son article sur Hantaï : « A la question : "Quel est selon vous, l'idéal du bonheur terrestre ?", Cézanne répond : "Avoir une belle formule"2. Hantaï compte Cézanne parmi les peintres qui furent importants pour lui aux côtés de Matisse et de Pollock. Ce que Matisse fit avec des ciseaux et Pollock avec un simple bâton, Hantaï le fait en pliant la toile avant de la peindre. De quoi est-il question ? De produire ligne, forme et couleur à l'aide d'une seule technique »3.

Le rapport que j'entretiens avec la peinture d'Hantaï est le blanc, le vide. Le Meun bleu d'Hantaï, m'est très proche avec les notions de plein et de vide, du blanc et de la couleur. Il y a une forme de perfection à être arrivé à une telle simplicité, comme l'empreinte d'un monde invisible, le double d'une réalité qui nous échappe. La méthode d'Hantaï est le pliage. De cette technique très particulière, liée à son enfance en Hongrie (dans la rue, les femmes pliaient les tissus avant de les teindre, le tablier de sa mère était fait de plis), naissent des peintures dont certaines parties ont étés obstruées, cachées, mises sous silence et qui donnent au résultat final, quelque chose d'étrange, que nous essayons en vain de comprendre. Car, il s'est passé un événement avec la série des Meuns : une sorte d' étranglement. Pour faire référence aux 3 Stoppages étalons de Marcel Duchamp, on pourrait parler de formes stoppées par un hasard programmé.

« Pour Simon Hantaï, l'artiste doit accorder une place essentielle à l'imprévisibilité du geste et au hasard au cours de son processus créatif. A Otto Hahn, il confia : « Mes toiles ne sont pas un écran où je projette mes visions, mes rêves, mes désirs. Matisse disait aux peintres : « Coupez-vous la langue ! Moi j'ajoute « Crevez-vous les yeux !»4

Cette phrase d'Alain Seban, introductrice du catalogue montre a quel point Hantaï est lié a une conception ouverte de la peinture. Il s'agit moins de projection que d'un acte salutaire. Peindre à l'aveugle pour trouver une vérité, traverser la toile, passer de l'autre côté du miroir. Jouer avec le hasard pour éclairer d'un jour nouveau la peinture. Une mécanique imprévisible des blancs se met alors en place pour révéler ce qui fait l'essence même de la peinture : la couleur. Dans son livre sur Hantaï, Georges Didi-Huberman écrit : « Hantaï a connu l'expérience de l'aveuglement et il expérimente avec le pliage une sorte d'aveuglement processuel : dès lors que la toile est pliée, ce qui se passe dans le pli échappe au regard du peintre »5. Le pliage comme méthode était le nom d'une exposition à la galerie Jean Fournier en 1971 à Paris. Que voit-on dans ce Meun bleu ? L'éclatement d'une couleur, une espèce de branche avec ses feuilles, quelque chose de végétal, un feuillage fissuré par des éclats de blanc. On ressent un apaisement devant cette peinture, comme un équilibre parfait entre les vides et les pleins, le blanc et la couleur. En s'approchant, on voit que la peinture a été posée indélicatement, rapidement, ce ne sont pas de beaux aplats de couleur, celle-ci est délavée et le blanc est en fait la couleur de la toile tirant légèrement vers le jaune. Quelque chose nous échappe dans sa méthode de pliage. Tous les bords finissent en arrondis bien marqués. Il y a un grand vide au centre et les formes colorées tournent tout autour.

Hantaï entreprit la série des Meuns  après avoir quitté Paris et vécu pendant une année sans peindre à Meun (en lisière de la forêt de Fontainebleau. Les Meuns procèdent du nœud plutôt que du pliage. La toile est rassemblée aux quatre coins, formant une sorte de « sac fortement aplati et brutalement recouvert de peinture ». Ce sac a pour effet d'en laisser vides les bords, puis le centre. Entre 1967 et 1968, on assiste à ce percement de la toile, à la levée du blanc, à l'éclatement de la forme en grands morceaux et en fragments. Une taie blanche aveugle, « l'oeil du pli ». Les Meuns évoquent à l'évidence, en positif ou en négatif, les papiers découpés de Matisse »6.

Avant de plier, il a donc noué. Ce qui donne ces arrondis qu'on trouvait déjà dans ses séries précédentes Les panses et les Pré-Meuns (Paris 1964-65). Nouer la peinture ou plutôt la toile, c'est comme l'étrangler, c'est une mise à mort, pour une renaissance. A la campagne, Hantaï s'est ouvert. « Plus d'espace, plus de lumière, un dépaysement des plus positifs. (…) Ce qui était noué à Paris, ou s'ouvrait à peine, s'est très vite dénoué là-bas. A l'origine de ce processus, une nouvelle façon de plier, plus simple, plus ronde, directe (pas de second pliage), a rendu possible la forme des Meuns7 ». Hantaï explique ce changement : « Aux quatre coins, des grands nœuds, et au milieu du grossier sac, une ficelle qui l'étrangle ». La partie étranglée, c'est la partie aveugle, la partie laissée vierge de couleur, le blanc, un espace qui est « une complexité topologique et organique dont le pli offre, probablement, l'une des figures fondamentales »8.

Hantaï a définitivement tourné une page. Il déclare : « Maintenant, ce n'est pas ce que je peins qui compte, mais ce que je ne peins pas – c'est le blanc »9.

 

Olivier Turpin

 

Vu au 

Centre Georges-Pompidou, Galerie 1

Exposition Simon Hantaï

22 mai - 2 septembre 2013

Vidéo : https://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-16dccc6...

 

1 Didi-Huberman, L'étoilement, conversation avec Hantaï, Les éditions de Minuit, 2005, p. 66.

2Conversation avec Cézanne, éd . Macula, Paris, 1978.

3Karim Ghaddab, Simon Hantaï, la fente peinte en point de fuite, Art Press n°233, 1998, p.26.

4Alain Seban, phrase d'introduction de l'avant-propos du catalogue de l'exposition Simon Hantaï, Centre Pompidou, 2013, p. 11.

5Georges Didi-Huberman, L'étoilement, conversation avec Hantaï, Les éditions de minuit, 2005, p. 15.

6Nadine Pouillon, Point de vue, extrait du catalogue Collection art contemporain – La collection du centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou 2007.

7Dominique Fourcade, 1967-1968 Les Meuns, une hésitation éclatante, catalogue de l'exposition Simon Hantaï, Centre Pompidou, 2013, p. 137.

8Didi Huberman, L'étoilement, conversation avec Hantaï, Les éditions de minuit, 2005, p. 104.

9Bonnefoi, 1973, p. 24.