Les Incomplets (série)

Marion Baruch
  • Marion Baruch, Yellow Variation (Les Incomplets)©Anne-Marie Morice
  • Marion Baruch, Echo de mer et de soleil (Les Incomplets)©Anne-Marie Morice
  • Marion Baruch, Le Peintre(Les Incomplets)©Anne-Marie Morice

Marion Baruch, Les Incomplets (Le Peintre, Yellow variation, Echo de mer et de soleil), 2016

 

Depuis 2013, Marion Baruch est inspirée par des pièces de tissus évidés qu'elle épingle au mur. Ces sculptures murales sont issues d’un choix exercé dans des chutes provenant d’ateliers de confection qui travaillent, en Lombardie, pour le prêt à porter de luxe. C'est dans des sacs de déchets, parmi les bandes textiles échancrées qui restent, une fois prélevées industriellement les pièces du patron qui constituent le vêtement, qu'elle sélectionne certaines étoffes, chacune représentant pour elle une histoire particulière.

La série des Incomplets est constituée à partir de ces chutes, elle trouve son unité dans des tissus très fins, satinés et monochromes, vraisemblablement utilisés pour prélever les éléments constituant des robes de soirée mais n'ayantt pas fourni en totalité la matière nécessaire.  Ces chutes dessinent en creux les formes des différentes pièces qui constituent les vêtements et soulignent ainsi, par le vide, des silhouettes stylisées de parties de corps habillés : manches, jambes, cols, corsage... Dans cette série, si on tente de reconstituer l'ensemble de l'habit, en assemblant mentalement les vides, il manque des éléments.

Cependant ces lacunes ne gachent en rien la grâce de ces sculptures souples qui, dans l'ampleur de leur verticalité interpellent par leur force visuelle. Celle-ci tient au contraste entre la fragilité du matériau et la majesté, quoique arachnéenne, des formes obtenues. Ces « restes » de tissu affichent « une géométrie molle à mi-chemin entre déconstruction du tableau, esquisse de bas-relief et sculpture processuelle »1. Les vides semblent servir d'assise à des effets de plissés, ou de drapés bouillonnants, des jeux de forme/contre forme reliés les uns aux autres par de minces fils de trame relachés sous l'effet de  la pesanteur. Ne subsiste que le minimum pour faire tenir les différentes parties de l'ensemble qui, allégé, simplifié, acquiert son unité et sa liberté.

Chaque oeuvre porte un nom et devient pièce unique. Oeuvres de type projectif, ces sculptures murales évoquent pour Marion Baruch des paysages, des portraits ou des références à des maîtres de l'art comme Matisse, Joseph Beuys ou Robert Morris.

Mais comme le fait remarquer Nathalie Viot, commissaire de l'exposition, ce processus artistique est issu d'une recherche intuitive, aussi bien tactile, olfactive que visuelle, et résultant d'une « performance lente » mise en œuvre par l'artiste. Il comporte également « une dimension sociale, humaine » à laquelle Marion Baruch a toujours été attachée. Sa vie s'inscrit dans le milieu professionnel de la production textile dans la région de Milan, où elle a travaillé avec les usines de confection dès les années 1980. Elle y a observé la transformation des matières textiles et de leur mode de fabrication, mais aussi leur manipulation par des opérateurs humains, le plus souvent féminins,exposés à la pollution terrible de la chimie à l'état pur.

« Ainsi le travail autour du tissu la conduit à produire une œuvre singulière inspirée de l'exploitation des femmes et du consumérisme » et qui montre qu'elle est « consciente du péril dans lequel notre monde vacille ». « Loin d'être des ready-made » ces oeuvres « sont bien à l'origine des déchets et le déchet n'est pas un ready made car il n'est pas un objet. Le déchet n'est rien, il est invisible, quand le ready made peut être désigné par l'artiste comme œuvre. »2

On pourrait dire que Marion Baruch opère une sorte de rédemption ou de réparation envers ce qu'on jette ou rejette, en redonnant un devenir à cette "matière sociale". Elle tire un fil mémoriel à partir de ce qui chemine depuis un siècle de questionnement sur le statut et la conception de l'objet d'art pour le faire interagir avec le monde actuel.

 

Anne-Marie Morice

 

1  Christian Bernard, notice pour l'exposition Lampi di memoria, MAMCO, Genève, 2013

2 Nathalie Viot, notice de l'exposition

 

Vu a

Printemps de Septembre 2016, Toulouse

Château de Degrés

du 23/09/au 23/10/2016

http://printempsdeseptembre.com/fr

 

Marion Baruch

http://www.ottozoo.com/index.php?option=com_content&view=article&id=571&...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marion_Baruch