Le Baiser de l'artiste

ORLAN
  • Le Baiser de l'artiste, 1977 © ORLAN / ADAGP

Le Baiser de l’artiste, sculpture et piédestal, 1977. Photographies noir et blanc, socle en bois, fleurs, cierges, lettres en plastique, chaise, bande sonore 225,5 x 170 x 70 cm © ORLAN / ADAGP. Collection FRAC des Pays de la Loire.

 

Cette « installation-mixte »1 marque un moment important dans l'oeuvre d'ORLAN. Depuis ses premières œuvres ORLAN a choisi de « sortir du cadre » et, par l'autoportrait mis en scène, d'accoucher « d'elle-m'aime »2. « Sortir du rang en pleine lumière, échapper à la norme avec panache, cultiver haut et fort la différence »3 sont très tôt les intentions de l'artiste au travers d'une de ses premières séries photographiques intitulées Corps-sculptures (1965). Issue de cette série, la pièce Le Baiser de l’artiste s'inscrit dans les actions de performance de l'artiste.

Sur un piédestal, deux versions d'ORLAN présentent les deux aspects de son personnage d'artiste : la madone et l'amazone. La madone est une photographie d'elle en taille réelle détourée et contrecollée sur un socle en bois. Issue de la série Le Drapé – le Baroque (1971-1986), cet autoportrait la représente drapée en Sainte Thérèse dans un drap de son trousseau. Elle porte une balle de tissu en guise de nouveau-né. Le sein qui émerge du drapé peut être celui d'une madone ou d'une travestie. Devant elle sont posés cinq cierges et un bouquet de lys blancs. Son vis-à-vis sur l'estrade est une ORLAN-Corps, au buste nu photographié, découpé et contrecollé sur un panneau comme ceux qu'utilisaient encore à l'époque les photographes forains. Des inscriptions accrochent l'attention, une fente transparente part de la trachée pour se terminer dans le triangle pubien. Au bout du sein droit une lampe clignote. En 1976 au Portugal, puis en 1977 à la quatrième Foire internationale d’art contemporain (Fiac) les visiteurs pouvaient mettre un cierge pour Sainte ORLAN et introduire une pièce de 5 francs dans la fente et suivre le trajet de la pièce dans le distributeur, déclenchant une bande son qui permettait d'obtenir un baiser colombin de l'artiste positionnée derrière le panneau. La bande audio diffusait la voix d'ORLAN invitant le public à s'approcher pour avoir un French Kiss. La métaphore consumériste était prolongée par une carte de réduction donnant droit à plusieurs séances et des accroches publicitaires aguicheuses, accrochées sur le buste comme autant de décorations : « Grand luxe », « Service soigné », « Double peau »...

On y voit bien entendu une critique acide du rapport ambigu, fétichiste, qu'entretiennent l'art et l'argent. Si cette installation reste en tant qu'objet vestige de cette performance, c'est l'économie de service qu'elle évoque. L'utilisation du corps de la femme, fantasmé et marchandisé par les multinationales, va bien au-delà des besoins utilitaires des sociétés humaines. Dans la même exposition de la Maison Européenne de la Photographie, les œuvres de Michel Journiac ont également référé à cette époque où triomphât la « société de consommation ». 

Avec cette pièce qui fit scandale, ORLAN interroge les clichés de la femme, mère ou prostituée, en un spectacle où l'humour noir jouxte le simulacre, le baroque. Elle déconstruit la quintessence des stéréotypes d'une époque. ORLAN a toujours affirmé sa position féministe radicale, - elle se dit maintenant alter-féministe-, et voulu déjouer la fatalité génétique. Loin d'accepter d'être consommée, c'est elle qui décide si elle veut montrer son corps en tant qu'objet, et, ce que ce corps-objet sera, faisant en tant qu'artiste « du beau pour plaire autant que pour déplaire ». ORLAN a amplement développé par la suite ses antidotes au sexisme en gouvernant avec autorité les représentations de la «  fluidité de son identité, de sa matérialisation à sa rematérialisation potentielle dans le temps. »4

Pour cette performance ORLAN sera licenciée de l'école de formation à l'animation socio-culturelle où elle enseignait mais elle acquiert la célébrité dans le monde de l'art qu'elle provoque et dans les médias qui s'en délectent. Quatorze ans après, cette œuvre entre dans la collection du FRAC-Pays-de-Loire et des photographies figurent dans différentes collections dont celles de la Maison Européenne de la Photographie et du Centre Georges-Pompidou.

Anne-Marie Morice

 

 

1Jérôme Neutres ORLAN en capitales, catalogue de l'exposition, Editions Skira, Paris, 2017

2Référence à l'oeuvre ORLAN accouche d'elle-m'aime, 1964, également présentée dans l'exposition

3Jérôme Neutres, ibid

4Shelley Rice, catalogue de l'exposition, Editions Skira, Paris, 2017

 

 

Vu à

Maison Européenne de la Photographie (Paris)

ORLAN en capitales

du 19 avril au 18 juin 2017

Catalogue Editions Skira, Paris, 2017 (Jérôme Neutres, Shelley Rice, Tatyana Franck, Jean-Luc Monterosso)

https://www.mep-fr.org

 

Site de l'artiste

http://www.orlan.eu