Hijra, 2018, installation de dessins, photographies, sculptures, vidéo-installation.
Certains ambitionnent de faire tenir les secrets de l’univers dans un algorithme. Younès Rahmoun compose petit à petit et modestement sa propre théorie de tout en agrégeant des oeuvres en des ensembles qui, unifiés par un titre, délimitent un sujet. L’artiste-auteur décide de chaque titre composé d’un seul mot, en arabe. Autant de titres autant de chapitres d’une oeuvre qui vise à l’unité. Cette fois-ci il présente Hijra, ce qui signifie la migration, l’émigration. Pourvu d’un article, ce terme désigne également l’exil du prophète Mahomet, à Médine, en 622.
La migration, le déplacement jouent un rôle important dans l’oeuvre de Rahmoun. Hijra nous livre quelques clés de la composante spirituelle et humaine qu’il place dans ces mots. La notion de migration évoque certes les faits dramatiques qui nous interpellent quotidiennement, les exils provoqués par des guerres et d’autres facteurs tragiques. Mais Younès Rahmoun nous rappelle aussi que le mouvement est inhérent à l’univers “ Les êtres humains, les animaux, les graines qui voyagent et qui donnent vie, les insectes, le vent, l’eau, tout est en mouvement perpétuel, parfois de façon dramatique sous l’empire des catastrophes. Même les montagnes se déplacent, dit-il. Nous sommes dans ce mouvement, et nous sommes nous-mêmes mouvement. L’être humain sait trouver en lui des ressources incroyables et infinies qui lui permettent de s’adapter aux contextes dans lesquels il évolue. Il doit éviter de se laisser porter par l’événement et se concentrer sur lui-même pour rester positif, chercher à améliorer sa situation, puis celle des autres quand il le peut.”
L’artiste opère des liaisons qui vont au-delà de la perception, en réunissant de façon symbolique, et avec des matériaux et des techniques dénuées d’affectation, des figures en transformation de ce qui constitue le cosmos : les corps stellaires, les particules, les graines, les éléments. Dans la salle principale de la galerie, que la vitrine donnant sur la rue fait ressembler dit-il à “un aquarium”, et dans la pièce obscure du sous-sol, son installation met en relation et fait parler des dessins, des photographies, des sculptures, une vidéo.
Evitant la centralité, Rahmoun a utilisé le sol et les murs sur lesquels il a tracé à la craie le profil d’une chaîne de montagne, inspirée par le Rif, sa terre natale, au Nord-Ouest du Maroc. Aux murs sont réunis des dessins au crayon de “plantes imaginaires, portant dans leurs racines la terre de leur provenance et s’envolant pour se greffer, se replanter à un endroit où elles feront une nouvelle vie”1.
Sur le sol sont posées des photographies de plantes sauvages, des “plantes résistantes”. Dans l’angle une structure légère présente sept compositions différentes de sphères faites de glaise et réunies par des baguettes en bois. Elles représentent les structures, similaires, des noyaux et particules qui structurent l’univers. On retrouve des récurrences,dans toutes les compositions de l’artiste : le chiffre 7 en fait partie. Ainsi, la sculpture dialogue avec la trace esquissée au crayon des sept pierres que Rahmoun prélève et échange à chacun de ses déplacements. Chez Imane Farès, il montre des pierres de Beyrouth qu’il a permutées en 2017 avec des pierres du Rif qu’il avait apportées au Liban dans cette intention.
Au sous-sol sur la projection horizontale d’une capture vidéo de flots bouillonnants est posée, et semble flotter avec bravoure, une petite sculpture de la Ghorfa, composée d’une boîte en plastique, de bois et de verre cassé. La Ghorfa est une figure qui traverse l’oeuvre, celle de la pièce dans laquelle Rahmoun a commencé sa recherche artistique. C’est un espace autant mental que physique qu’il convoque régulièrement en reproduisant, à différentes échelles, et selon les circonstances cet espace “de travail, d’exposition et de méditation” qui donne lieu à ses totalités lumineuses, simples et authentiques. Au lieu de réduire sa pratique au conceptualisme, Younès Rahmoun met en oeuvre une démarche métaphysique, au sens de recherche d’un principe d’explication qui se trouve au-delà de la nature tout en s’inspirant d’elle.
Anne-Marie Morice
1Entretien avec Younès Rahmoun, le 6 mars 2018
Vu à
Galerie Imane Farès (Paris)
Exposition Hijra du 1er mars au 12 mai 2018